Introduction générale


Lorsqu'on étudiera la vie politique durant les septennats de François Mitterrand, il est possible que l'on retienne SOS-Racisme comme le mouvement de mobilisation le plus original et le plus représentatif des transformations sociales qui s'opéraient alors. Fondée fin 1984 et complètement inconnue au début de 1985, la nouvelle association antiraciste parviendra en juin 1985 à réunir plusieurs centaines de milliers de personnes place de la Concorde. «Organisation-champignon», SOS-Racisme l'est aussi par le nombre et les caractéristiques de ses militants puisque fin 1985 surgiront dans la plupart des villes de France des comités locaux qui entendront représenter l'association. En classe de terminale lors de la fondation de SOS-Racisme et donc susceptible de porter le badge comme membre de « la jeunesse », de la « génération morale »[1] appelées à « réagir » contre la montée du « racisme » et de « l'extrême droite » , je me souviens avoir été plutôt réservé à l'égard de SOS. Si j'étais plutôt en accord avec les objectifs affichés par l'association – qui pouvait ne pas l'être – les « bons sentiments » déployés devant les caméras de télévisions m'agaçaient. Je n'étais d'ailleurs pas particulièrement sensibilisé au phénomène du « racisme» ou aux « problèmes de banlieue » : alors dans un lycée rural de province, les problèmes de racisme touchaient peu mes camarades et aucun élève de mon établissement n'avait porté le badge. Aucune organisation militante n'était susceptible d'impulser une distribution de badges dans le lycée dont les élèves apparaissaient fort peu concernés par « la politique » . D'une famille « de gauche » et par conséquent familiarisé à une approche « politique » des faits de société, l'image d'apolitisme qu'entendaient préserver les animateurs de SOS-Racisme et leur volonté de s'opposer au racisme d'un point de vue purement « moral » sans en envisager les causes sociales me semblaient procéder d'une analyse erronée. Au contraire, mon cadre de perception spontané me faisait voir « le racisme » (dont je ne mettais pas en doute la réalité objective) comme un produit des inégalités sociales et de la pauvreté de certaines zones urbaines dont le traitement relevait d'une politique économique spécifique plutôt que d'une croisade morale culpabilisatrice. Pourtant l'engouement de la presse pour cette association ne se démentait pas. Chaque initiative, même mineure, de la nouvelle association suscitait de nombreux articles et des reportages alors que les organisations antiracistes traditionnelles semblaient ne plus exister. Le badge connaissait un très grand succès auprès des jeunes et ce qui me paraissait être les lacunes du discours initial de SOS, ne semblait troubler ni les acheteurs de badges, ni la plupart des journalistes, ni même les hommes politiques que l'association interpellait.
      Quelques mois après la création de la nouvelle association, il apparut que, loin d'être des jeunes militants « apolitiques » , les fondateurs de SOS-Racisme appartenaient au Parti socialiste, avaient pour certains d'entre eux été membres de la LCR et avaient donc délibérément occulté leurs engagements politiques précédents et actuels pour accroître leur audience. Cette information « surprenante » amenait de nouvelles interrogations. Pour quelles raisons ces anciens militants d'extrême gauche aujourd'hui membres du Parti socialiste acceptaient-ils de se dire « apolitiques » alors même que quelques années plus tôt, ne se disait « centriste » ou « apolitique » qu'un personnel politique classé « de droite » ? Comment se faisait-il que moins de dix ans après l'apogée et le déclin des mouvements d'extrême gauche, d'anciens membres « non repentis » de ces mouvements aient pu demander à des parrains « de droite » de soutenir leur association antiraciste et revendiquer « l'apolitisme » de celle-ci sans susciter les protestations des partis et des militants « de gauche » alors que l'antiracisme constituait depuis longtemps un thème de mobilisation propre à « la gauche » ? En d'autres termes comment l'appartenance à « la gauche » qui était auparavant valorisée avait pu subrepticement devenir comme honteuse ? Les logiques pratiques qui avaient manifestement présidé aux stratégies de mise en forme « apolitique » de la nouvelle association devaient nous conduire à nous interroger sur l'évolution des représentations politiques et des modes d'engagement depuis la fin des années soixante-dix.
      Le formidable engouement des journalistes pour la nouvelle organisation antiraciste suscitait d'autres interrogations. Pour quelle raison les principaux journaux de presse écrite et les journaux télévisés avaient-ils pu consacrer tant d'attention à une organisation antiraciste qui n'avait alors guère fait ses preuves et ne comprenait alors, de toute évidence, qu'un nombre réduit de militants ? Comment expliquer que la plupart des journaux aient pu considérer SOS-Racisme avec un œil aussi bienveillant en 1985, avant, quelques années plus tard et toujours de façon convergeante, de se montrer critiques au point de mettre en danger l'existence de l'organisation ? Enfin, comment les classes d'âge des lycéens et des étudiants qui, au milieu des années soixante-dix apparaissaient aux observateurs sinon militantes, au moins souvent acquises à l'opposition « de gauche » , avaient-elles pu quelques années plus tard considérer d'un œil favorable une organisation officiellement « apolitique » dont le discours ne comportait ni interprétation de l'origine du « racisme » ni revendications pouvant déboucher sur une politique de réduction de ses causes ?

Faire une recherche signifie souvent écarter autant de questionnements ou de modes légitimes d'approche de l'objet qu'on en utilisera effectivement. Nous chercherons au cours de cette thèse à éclaircir les conditions de création et de succès d'une association antiraciste sous la forme sociale qui a été la sienne : celle d'une organisation « apolitique » . Nous nous intéresserons plus aux conditions structurelles de la réussite de l'association en 1985 qu'à l'action de SOS-Racisme, aux militants de ses comités, aux raisons de leurs engagements, au travail argumentatif de ses porte-parole face aux pouvoirs publics et aux autres organisations antiracistes, au rôle de l'association dans la constitution d'un ministère de la ville et de politiques publiques dans les quartiers périphériques. Nous ne chercherons donc pas à étudier les raisons et les modalités de l'action militante dans les comités de SOS, ni les caractéristiques sociales et politiques de ces militants. Une telle approche, bien entendu parfaitement légitime, aurait entraîné notre recherche dans une autre direction. En revanche nous nous donnerons pour objectif de déterminer les conditions de possibilité politiques et symboliques de la constitution d'une entreprise antiraciste de forme apolitique. Nous chercherons plus particulièrement à déterminer les configurations politiques particulières qui vont susciter les stratégies de mise en forme de SOS-Racisme adoptées par ses fondateurs et les raisons du succès de l'association auprès des journalistes mais également auprès des jeunes porteurs de badges.
      Nous diviserons notre recherche en deux parties qui nous permettront d'explorer les différents processus sociaux engagés dans la création et le succès de SOS-Racisme. Nous chercherons à analyser dans un premier temps les raisons de l'intérêt des journalistes pour la nouvelle association. En effet, SOS-Racisme n'aurait pas connu la réussite rapide qui a été la sienne ni offert à ses fondateurs les mêmes opportunités politiques sans l'intérêt que les journalistes lui ont manifesté en 1985. Après sa création, SOS-Racisme aurait en effet pu rester une association estimée mais dont la couverture médiatique modérée, similaire à celles dont bénéficiaient alors le MRAP ou la LDH, aurait limité le développement. Nulle nécessité propre au thème de l'antiracisme ne pouvait assurer aux fondateurs de SOS l'ampleur prise par les articles et les reportages qui leur étaient consacrés. La réussite de SOS ne peut donc être expliquée sans une analyse des causes de l'intérêt que le milieu journalistique lui manifeste. Nous chercherons à déterminer les logiques spécifiques qui ont conduit certains secteurs du champ de l'information à traiter très abondamment les premières initiatives de SOS-Racisme. Nous montrerons que l'adéquation entre la mise en forme « juvénile » et « apolitique » de SOS-Racisme et les besoins d'information spécifiques des journalistes vont favoriser l'ampleur de la couverture des journalistes. L'établissement de la notoriété de SOS-Racisme sera donc le produit de la rencontre entre une offre antiraciste dotée de propriétés spécifiques et d'un intérêt journalistique dont nous chercherons à analyser le principe de production.
      « L'emballement » du champ journalistique en faveur de SOS en 1985 avait donné à la nouvelle offre antiraciste une notoriété sans commune mesure avec ce qu'aurait permis d'atteindre une campagne fondée sur les seules forces militantes de ses fondateurs. Mais si la vente des badges a largement profité de la publicité que les journalistes avaient fait à SOS, la campagne menée alors par certains journaux en sa faveur n'aurait pu se poursuivre si la petite main n'avait rencontré l'adhésion d'un grand nombre de jeunes justifiant ainsi a posteriori l'intérêt des journalistes. Dans une seconde partie nous chercherons donc à expliquer d'une part les raisons de l'engouement d'une fraction de la jeunesse pour une association « réactive » ne proposant pas de programme ni de revendications en dehors de l'affichage d'une « opinion antiraciste » et d'autre part pourquoi les fondateurs de SOS-Racisme, membres actifs du Parti socialiste, vont donner à SOS-Racisme une forme et un discours neutralisés, à l'opposé de ce qui était le programme politique de leur courant. Alors que quelques années auparavant un mouvement se proclamant « apolitique » aurait rencontré l'opposition de toutes les organisations politiques et antiracistes « de gauche » et, face à ces critiques, n'aurait pas été en mesure de rassembler autant que le fera SOS, au contraire en 1985, l'affichage de « l'apolitisme » du mouvement est la condition de sa réussite, à la fois à l'égard de journalistes qui se réjouissent de la « fin des idéologies » et vis-à-vis de jeunes qui sont proportionnellement plus nombreux qu'auparavant à être indifférents à l'égard de « la politique » . En d'autres termes, nous essayerons de déterminer comment s'est opéré ce que nous désignerons pour l'instant comme le changement « d'ambiance politique » qui a fait passer le champ des oppositions partisanes de l'antagonisme droite-gauche au « consensus » , de la mobilisation pour le « Changement » à la réhabilitation de la figure de l'entrepreneur et d'une jeunesse « contestataire » à l'indifférence croissante des jeunes envers les luttes politiques.
      Mais si la réussite de SOS-Racisme a pour origine des processus sociaux propres au champ partisan et au champ de l'information politique et si les raisons de la mise en forme « apolitique » et du succès public de l'association doivent être recherchées dans le processus de transformation des représentations politiques entammé à partir de 1981, sa fondation par un groupe de jeunes syndicalistes étudiants relève de logiques partiellement indépendantes. Nous conclurons notre analyse des conditions d'émergence de SOS-Racisme par l'examen des logiques qui ont pu conduire un groupe de militants étudiants à constituer la nouvelle association antiraciste. La création d'une organisation militante ne va pas de soi. Elle n'est jamais le produit de la coalescence d'individus isolés mais résulte de l'initiative de militants politiques déjà expérimentés. Nous montrerons que c'est la configuration du syndicalisme étudiant dans laquelle étaient engagés les fondateurs de SOS-Racisme et les caractéristiques de leurs trajectoires politiques et universitaires qui permettent d'expliquer la fondation d'une nouvelle organisation antiraciste. À travers l'analyse du militantisme étudiant au milieu des années quatre-vingt nous mettrons en évidence les contraintes structurelles qui s'imposaient aux fondateurs de SOS-Racisme et comment cette entreprise a pu représenter pour eux une solution pertinente à un certain nombre de difficultés qu'ils rencontraient dans les organisations au sein desquelles ils militaient. Nous montrerons en particulier comment la fondation de SOS-Racisme a constitué pour le groupe de militants réunis autour de Julien Dray un moyen d'éviter la divergence de leurs trajectoires militantes et professionnelles en leur permettant d'acquérir des positions partisanes au sein du PS et d'accumuler des ressources politiques.
      L'émergence de SOS est donc le produit de l'interaction d'acteurs engagés dans des secteurs sociaux partiellement autonomes qui, pour des raisons hétérogènes, concourront à l'établissement de sa notoriété et de son crédit symbolique. Issue du sous-champ politique propre à l'université, l'association devra son succès aux usages qu'en feront selon des logiques différentes les journalistes de certaines rédactions et le personnel politique de la gauche. Au terme de cette analyse, SOS-Racisme apparaîtra comme le révélateur des transformations qui auront affecté le champ politique à partir de 1981 : organisation réactive contre l'extrême droite, elle ne saurait mobiliser qu'en opposition au Front national ; organisation subventionnée par le personnel politique de la gauche, elle ne pourrait organiser ses concerts si Valéry Giscard d'Estaing était à l'Elysée ; organisation promue par la télévision, elle ne saurait s'imposer tant que l'Etat exerce un contrôle politique sur l'ensemble des chaînes de télévision ; mouvement doté d'une mise en forme « apolitique » , il ne saurait apparaître tant que le « déclin des idéologies » et les transformations des oppositions partisanes n'auront pas changé les cadres de perception et de jugement de l'action politique.


Chapitre préliminaire

Histoire de SOS-Racisme


Le 15 juin 1985, la nuit tombe sur la place de la Concorde, pourtant il n'y a pas la circulation habituelle. Les piétons ont remplacé les voitures et plusieurs centaines de milliers de personnes assistent à un grand concert gratuit. L'organisateur de cette manifestation inédite est une toute nouvelle association, SOS-Racisme, qui n'existait pas quelques mois auparavant et qui était encore inconnue avant février. Nous allons ici retracer l'histoire de SOS-Racisme comme pourrait le faire un observateur qui disposerait d'une revue de presse des articles publiés sur l'association entre 1985 et 1992 et qui aurait pu rencontrer et interroger les acteurs. Nous remonterons un peu au delà de la fondation de l'association pour retracer rapidement l'histoire des « marches des beurs » , mouvement qui a précédé et inspiré la création de SOS-Racisme, et dont les fondateurs se sont réclamés. Cette histoire préliminaire doit permettre au lecteur de se familiariser avec SOS et ses animateurs, avec les actions qu'ils ont menées et avec les commentaires et les jugements qui ont été portés sur eux. Elle est, bien sûr, tributaire des sources utilisées pour l'écrire. On identifiera des acteurs, on observera des actions de mobilisation, on discernera des oppositions politiques, on relèvera des évolutions dans les prises de positions et dans les discours. Il ne s'agira pas seulement de retracer l'évolution chronologique de l'association mais aussi de donner un aperçu des intentions et des arrière-pensées des acteurs impliqués dans les événement décrits, telles que notre observateur pourra les reconstituer. Enfin nous chercherons à montrer la façon dont les organes de presse ont rendu compte de l'activité de SOS.

Les marches des Beurs
D'octobre 1983 à décembre 1984

L'initiative de la première marche des beurs est venue en 1983 de Lyon. Les relations entre ce qu'il est convenu d'appeler la « jeunesse issue de l'immigration » et la police étaient devenues très difficiles, dans la région lyonnaise depuis 1980. Des « rodéos » au cours desquels des jeunes volaient une voiture, faisaient plusieurs fois à vive allure le tour des « cités » , aux Minguettes, pour incendier le véhicule un peu plus tard, avaient attiré l'attention de la presse et des pouvoirs publics en 1981. Depuis, plusieurs « opérations anti-étés chauds » avaient été organisées et la surveillance policière de ces quartiers de la banlieue lyonnaise avait été renforcée. Les rapports entre les « jeunes» et la police s'étaient encore tendus. Toumi Djaïdja en « voulant s'interposer » entre des jeunes et des policiers avait été blessé par un policier, ce qui avait été ressenti par les « jeunes » des Minguettes comme une agression de plus. L'ambiance était à l'affrontement direct avec les forces de police.
La marche a alors été conçue par le Père Christian Delorme comme un moyen d'échapper à la tension entre les policiers et les jeunes pour poser les bases d'une réflexion sur la situation dans la banlieue lyonnaise et en particulier sur celle de cette catégorie de jeunes qui n'avait pas encore de nom ou dont le nom était constitué par une périphrase : les « jeunes issus de l'immigration » ou la « seconde génération immigrée » . La méthode utilisée par le Père Christian Delorme est explicitement inspirée de celle employée par le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis ou par Gandhi en Inde : la non-violence, des grèves de la faim et des marches de protestation. Ce type d'action rencontre le scepticisme d'autres groupes de jeunes militants « issus de l'immigration »[1]  ; s'ils ne refusent pas totalement d'y participer, ils considèrent que ces actions ne sont pas assez énergiques et revendicatives et qu'il serait plus mobilisateur et plus utile d'affronter directement les institutions (police, justice), ressenties et dénoncées par certains jeunes comme des adversaires. Pourtant, la marche est un grand succès. Elle parvient à rassembler de plus en plus de manifestants dans chacune des villes traversées à mesure qu'elle se rapproche de Paris. Ses organisateurs parviennent aussi à intéresser des journalistes à leur mouvement. Plusieurs journaux (en particulier le Monde, Libération, le Matin) font régulièrement des articles sur la progression de la marche. Des reportages télévisés, induits par les articles publiés par la presse écrite, font connaître très largement les marcheurs et leurs revendications. Pour désigner les « jeunes de la seconde génération immigrée » un nouveau mot s'impose, issu de l'argot de la banlieue parisienne : « beur » , mot verlan pour Arabe.
      La plupart des journalistes chargés de rendre compte de la marche ont été plutôt favorables à l'initiative des jeunes « beurs » . Le mode de présentation adopté par les médias suivait généralement un scénario solidement établi : celui du juste qui proteste contre une injustice. Ce traitement favorable et cette forte publicité vont assurer le succès de l'initiative de Christian Delorme, c'est-à-dire une manifestation plus importante que les observateurs ne le prévoyaient lors de l'arrivée à Paris des marcheurs et une couverture de presse encore très abondante et favorable. Les animateurs de la marche sont reçus à l'Elysée par François Mitterrand qui accède à leur revendication de la carte de séjour de dix ans[2] .
      L'écho rencontré par la marche entraîne la multiplication des associations locales de « jeunes de la deuxième génération » . Ces associations tentent, au cours d'assises tenues à Lyon du 9 au 11 juin 1984 puis à Saint-Etienne les 27 et 28 septembre, de constituer un mouvement national qui pourrait disposer d'un poids plus important et présenter des revendications communes. Ces tentatives d'unification, ou plutôt de constitution d'une fédération d'associations dotée d'un porte-parole et d'une plate-forme minimum ont achoppé sur les questions des revendications et des leaders. Si tous les participants étaient d'accord sur la nécessité de « l'autonomie » du mouvement des « jeunes issus de l'immigration » vis-à-vis des « organisations de solidarité » , les différentes associations présentes divergeaient sur le contenu des revendications. Si certains voulaient développer des revendications sur la base de caractères spécifiques aux « jeunes issus de l'immigration» , d'autres préféraient insister sur la dimension sociale de problèmes qui ne touchaient pas seulement la « seconde génération » . Les premiers étaient accusés de prôner le « repli communautaire »tandis que les seconds étaient soupçonnés de souhaiter l'assimilation[3] . La détermination du contenu de la plate-forme posait également la question des alliances et de la stratégie du mouvement. Un discours trop radical et « communautaire » risquait d'isoler le mouvement et de le laisser sans soutien. Un discours trop social et œcuménique posait la question de l'intérêt de l'autonomie du mouvement : si les problèmes qui se posent aux « jeunes issus de l'immigration » sont les mêmes que ceux qui se posent aux « jeunes français » , pourquoi constituer un mouvement spécifique ? D'autre part, la revendication de l'autonomie du mouvement aboutissait en pratique à exclure les non-maghrébins sinon des associations et des collectifs du moins des postes de responsabilité.
      Les divergences entre, d'une part, Djida Tazdaït et le collectif lyonnais, qui défendaient une affirmation du caractère maghrébin du mouvement et de spécificités « communautaires » et, d'autre part, Farida Belghoul et la minorité, dite « pro-intercultures »[4] , du collectif parisien qui souhaitaient un rassemblement plus large, aboutissent à l'organisation par ces derniers d'une seconde marche en 1984. Soutenue par l'ensemble des associations antiracistes et des organisations de solidarité avec les immigrés, la seconde marche, constituée de cinq cortèges convergeant sur Paris, bénéficie tout de suite de l'intérêt des journalistes rendus attentifs par la forte mobilisation qu'avait entraînée la première. Bien qu'elle ait rassemblé à Paris un nombre de manifestants plus faible que l'année précédente, cette seconde marche fut cependant considérée comme un succès par la presse. Le slogan de la marche, « la France, c'est comme une mobylette : pour avancer, il lui faut du mélange » , loin de souligner les différences entre une « communauté française » et une « communauté maghrébine » insistait sur la nécessité de « vivre ensemble » et de « se mélanger » . Pourtant, la marche de « Convergence 84 » a été émaillée d'un certain nombre d'incidents entre les marcheurs et les comités de soutien locaux, en particulier sur le parcours entre Marseille et Paris. Certains marcheurs n'étaient pas satisfaits de l'action des comités d'accueil, principalement composés des « antiracistes du centre ville »[5] , accusés de ne pas informer de l'arrivée des marcheurs les « principaux intéressés » , les jeunes des banlieues de chaque ville traversée. Le discours de Farida Belghoul prononcé lors de l'arrivée de la marche à Paris est une critique des associations de soutien qui sont rejetées comme étrangères aux préoccupations réelles des « jeunes issus de l'immigration » et composées de « militants du centre-ville » , par opposition aux jeunes qui « galèrent » en banlieue[6] . Farida Belghoul indique qu'elle est « devenue une dissidente de [sa] propre initiative »[7] . Elle s'éloigne des positions qu'elle défendait au moment de l'organisation de « Convergence 84 » pour se rapprocher de ceux qu'elle critiquait auparavant.
      Le mouvement beur est alors affaibli par les divergences internes et par les conflits de personnalités. En outre, les critiques que Farida Belghoul ou le collectif de Lyon adressent au milieu associatif antiraciste, lié aux partis politiques et aux municipalités de gauche rendent plus difficile le soutien des seules organisations qui pourraient collaborer avec les associations « beurs » . Les pouvoirs publics qui ont soutenu financièrement l'organisation des marches et des assises des « jeunes issus de l'immigration » (à travers le Fond d'action social – FAS – , ou les subventions de collectivités territoriales) ne sont pas prêts à maintenir leur soutien à des associations qui tiendraient un discours trop radical. Les journalistes qui ont suivi les marches n'ont pas fait émerger un porte-parole capable de fédérer autour de lui les tendances antagonistes du mouvement beur. De plus, il leur est difficile de rapporter les thèmes et les débats internes aux réseaux des associations et des militants « issus de la deuxième génération » sans affaiblir le mouvement de sympathie envers les beurs qui a suivi l'arrivée des deux marches. Si certains sont prêts à éprouver de la « compassion »[8]  pour les marcheurs et pour les « beurs » , ils ne sont sans doute pas disposés à accepter un discours assez radical pour critiquer d'abord les organisations antiracistes elles-mêmes[9] .
      À la fin de 1984, il n'y a pas d'organisation nationale ou de porte-parole qui puisse revendiquer représenter l'ensemble des « jeunes issus de l'immigration » . Lorsque SOS-Racisme apparaît les journalistes peuvent, sans risque d'être démentis, faire de l'association l'héritière des « marches » et la représentante naturelle des « beurs » , catégorie dont l'usage s'est répandu à la suite de l'action des marcheurs.

La préparation de l'association
De mai 84 au 23 octobre 1984.

Lorsque, le succès et les premières critiques venus, les fondateurs de SOS-Racisme devront faire pour la presse l'historique de la création de l'association, ils mettront en avant l'inquiétude qu'ils avaient éprouvée devant la montée de l'extrême droite à partir de la municipale partielle de Dreux et des municipales de 1983. SOS-Racisme était conçu comme un moyen pour défendre les « valeurs antiracistes » de la gauche et permettre à celle-ci de reprendre l'avantage sur ce qu'on appelait le « terrain des libertés » qui lui était alors disputé par l'opposition. Le passé militant des membres fondateurs de SOS-Racisme ne les prédisposait pas à investir le secteur de l'antiracisme. Beaucoup étaient membres du Mouvement des jeunes socialistes ou de la tendance Plus (socialiste et minoritaire) de l'Unef-Id, un syndicat étudiant formé en 1980 par la réunion des mouvements étudiants de deux groupes trotskistes, l'Unef-Us, dirigé par Jean-Christophe Cambadélis, appartenant au PCI de Pierre Boussel (Lambert) et le MAS, mouvement de la Ligue Communiste Révolutionnaire, dirigé par Julien Dray au moment de la réunification et dont il avait été exclu en même temps que de la LCR où il militait dans le courant de Gérard Filoche. Ce groupe de jeunes militants socialistes du MJS et de l'Unef-Id organisés autour de Julien Dray[10] , n'avait jamais fait de l'antiracisme son principal objet de militantisme. Peu d'entre eux disposaient des stigmates« physiques » de l'immigration qui apportent crédibilité et légitimité à la lutte antiraciste et ils étaient généralement pourvus d'un niveau de diplômes supérieur à celui des marcheurs de 1983 et 1984. Ces caractéristiques seront en partie à l'origine de l'hostilité et de la défiance que les associations du « mouvement beur » manifesteront à l'égard de SOS.
      L'audience du discours du Front National et celle de la mobilisation « beur » de 1983 coordonnée par le père Christian Delorme et des collectifs « beurs » avaient créé un espace de débat et de mobilisation autour de l'immigration et du « racisme » . La critique des politiques de l'immigration par le président du Front National obligeait les autorités gouvernementales et les partis politiques à prendre position dans les débats que celui-ci contribuait à initier et à définir. Parallèlement, la marche avait conduit les journalistes et les acteurs politiques à tenir compte des « jeunes issus de l'immigration » qui semblaient pouvoir faire parler d'eux de diverses manières (rodéos, manifestations à la suite de crimes racistes, émeutes urbaines, petite criminalité, marches de revendication). Il était devenu plus facile qu'auparavant d'intéresser journalistes, partis politiques et militants associatifs à un mouvement de jeunes dans le « secteur de l'immigration » .
      Après le parcours « des mobylettes» de « Convergence 84 » et l'échec des tentatives de constitution de coordination et d'organisation permanente des diverses associations de « jeunes issus de l'immigration » , l'absence d'un porte-parole unique et indiscutable issu des marches rendait possible une initiative antiraciste issue de groupes autres que ceux qui avaient produit les marches de 1983 et de 1984. Les fondateurs de SOS-Racisme avaient rencontré en septembre 1984 le Père Christian Delorme qui les avait encouragés à poursuivre leur action, mais ils n'avaient pu participer au collectif de Convergence 84 où Farida Belghoul et d'autres militants « beurs » ne souhaitaient pas leur présence, ressentie comme « trop politique » et pas « assez immigrée »[11] . L'association fut donc lancée en dehors du mouvement « beur » et sans la participation d'un leader « communautaire » ayant participé à l'une des deux marches. Cette insuffisante « authenticité beur » permit par la suite de nombreuses remises en cause de SOS-Racisme par les organisations « issues de l'immigration » , qui assuraient être plus représentatives, plus proches du terrain et plus authentiquement « beurs » .
      Les responsables de l'association ont été par la suite souvent critiqués[12]  pour l'image très travaillée qu'ils auraient présentée aux journalistes[13] . On leur reprochera d'avoir caché leur passé politique et d'avoir minoré par calcul les difficultés sociales et économiques auxquelles étaient pouvaient être confrontés les beurs pour ne proposer qu'un antiracisme de « strass et de paillettes » , réduisant à une simple réaction morale festive le discours plus contestataire et plus revendicatif des « mouvements beurs » . L'ensemble des prises de position de l'association fut en effet soigneusement pesé. Après plusieurs années de militantisme dans des mouvements politiques et dans des syndicats étudiants « d'extrême gauche »[14] , les convictions et les habitudes de pensée des fondateurs de SOS-Racisme les préparaient plutôt à tenir un discours très politique contre l'extrême droite et les « idées racistes du Front national » [15] . Mais pour ces militants qui avaient appartenu à des mouvements « d'extrême gauche » critiqués et marginalisés dans l'espace politique et dans les médias, il n'y avait aucun intérêt à produire un groupe radical supplémentaire. L'ambition de Julien Dray et des fondateurs de SOS-Racisme était de construire ce qu'ils appelaient un « mouvement de masse » dont la capacité de mobilisation importerait plus que le détail de son programme. Plus précisément, il s'agissait de rassembler largement, bien au-delà de l'audience ordinaire d'une organisation militante, sur un discours antiraciste qui, par conséquent, devrait rebuter le moins de gens possible. Les fondateurs de SOS considéraient que ce discours antiraciste devait être plus simple et moins chargé de « marqueurs idéologiques » que les discours qu'eux-mêmes tenaient au sein de l'Unef-Id. Il s'agissait donc de n'envisager ni les causes du « racisme » ni les politiques à mettre en œuvre pour le faire reculer. S'il n'était pas question de faire une association neutre ou réellement apolitique, le discours du mouvement devait être, au moins dans la première phase, le moins partisan possible, tandis que l'origine des militants, sans être dissimulée, devait passer au second plan pour ne pas nuire à la crédibilité de l'association fondée sur l'œcuménisme politique des parrains et la non-politisation des militants.
      L'idée du concert et celle de la construction d'une structure durable semblent avoir été présentes dès la phase d'élaboration du projet de l'association[16] , tandis que le badge ne devait à l'origine être distribué qu'aux spectateurs du concert. L'utilisation, lors du lancement, du badge et du slogan « touche pas à mon pote » ne s'est imposée que quelques semaines plus tard. Le discours destiné aux journalistes fut soigneusement travaillé par les fondateurs qui élaborèrent une « histoire officielle » de l'association : les amis de Diego, que les voyageurs du métro avaient semblé accuser du vol du portefeuille d'une vieille dame, parce qu'il était noir, auraient décidé, dans un sursaut d'indignation, de réagir au « racisme ambiant» en fondant SOS-Racisme pour éviter que leur ami, écœuré, ne reparte au Sénégal[17] . Cette anecdote fut systématiquement diffusée auprès des journalistes pour accréditer la thèse d'un mouvement spontané issu de l'indignation morale d'une bande de copains. La presse[18]  et la télévision reproduisirent, sans vraiment la vérifier, la version officielle fournie par les militants de l'association. Les journalistes qui pouvaient être au courant de l'origine politique des fondateurs[19]  préférèrent ne pas publier l'information immédiatement.
      La campagne de lancement de SOS-Racisme a semblé extrêmement originale aux observateurs de 1985 qui n'étaient pas habitués à voir un groupe militant axer toute sa stratégie sur une sensibilisation du public au moyen des médias, enrôlant à la fois des personnalités (artistes, intellectuels ou journalistes) chargés de promouvoir la campagne du badge et des militants « de faible intensité » qui portaient l'insigne de l'association pour organiser, non pas des manifestations ou des meetings, mais des fêtes musicales gratuites alliant loisir et action antiraciste ou politique[20] . Les animateurs de SOS-Racisme ont alternativement nié et souligné l'originalité de leur campagne de lancement, oscillant entre la justification d'un mode d'action qui ne devait pas apparaître comme trop en rupture avec les pratiques militantes ordinaires et la mise en avant de leurs capacités à faire bouger la jeunesse par des thèmes et des types de mobilisation nouveaux. Ainsi les dirigeants de SOS ont indiqué que l'idée de faire un concert-meeting provenait de l'exemple de « Rock Against Police » , série de concerts organisés en Angleterre vers 1979-1980 contre « l'ordre établi » et la politique du gouvernement de Margaret Thatcher et dont l'initiative avait déjà été reprise en France par Mogniss et Samir Abdallah, militants « beurs » de Nanterre, tandis que le badge était inspiré de celui de Solidarnosc porté en particulier par Yves Montand, Simone Signoret et Edmond Maire après le « coup d'Etat » de 1981 en Pologne[21] . Le slogan fut, dit-on, trouvé par l'un des fondateurs, Didier François (dont le pseudonyme dans la LCR était Rocky), et permettait de signifier le sursaut moral contre le racisme sans impliquer de prise de position précise ni un programme de revendication détaillé.
      Le plus difficile entre septembre 1984 et février 1985 était de sortir de l'anonymat et d'imposer le nouveau mouvement face aux associations antiracistes établies (MRAP, LDH, LICRA) et au jeune mouvement beur qui avait réussi en 1983 à sensibiliser les médias et une partie de la population à la situation sociale de la « deuxième génération immigrée » . Les forces initiales du groupe fondateur de SOS étaient relativement minces : environ cinquante personnes mobilisables dont quinze vraiment motivées et capables de militer à plein temps, surtout des étudiants de la région parisienne, peu de soutien de la part du Parti socialiste ou du personnel gouvernemental qui ne se sont intéressés à la nouvelle association qu'après son succès[22] , pas de relations ni de contacts dans les milieux du spectacle, de la politique ou des médias, soutien moral de la part de la majorité de l'Unef-Id, un peu plus réel de la part des responsables de la MNEF. La collaboration de l'UEJF – dont était membre le frère de Julien Dray – et surtout celle de son président Eric Ghébali, si elle apportait le soutien et la légitimité d'une association de la « communauté juive » et un portefeuille de relations, ne procurait que peu de militants. D'ailleurs, si Julien Dray, en tant que dirigeant de la tendance socialiste au sein du principal syndicat étudiant, disposait de contacts au sein du MJS et du Parti socialiste, établis notamment durant les grèves étudiantes de 1983[23] , ceux-ci n'étaient pas forcément toujours favorables au fondateur de « Questions Socialistes » [24]  dont le passé trotskiste et la volonté de maintenir un noyau militant autonome au sein du courant mitterrandiste étaient généralement considérés avec suspicion ; de plus, l'existence de contacts précoces avec les responsables du Parti socialiste n'impliquait pas l'automaticité d'un soutien effectif à toutes les initiatives que pouvaient prendre les étudiants socialistes. Il est d'ailleurs probable qu'une aide financière de plus grande ampleur ou la mise en contact avec des membres de la presse ou du show-business auraient orienté différemment l'activité de l'association à ses débuts et auraient fait prendre un tour radicalement autre aux relations de l'association avec les rédactions et les journalistes.

Un décollage long à se dessiner
Du 24 octobre 1984 au 14 février 1985

À partir de la fondation officielle de SOS, la stratégie du groupe initial était de faire connaître rapidement l'association pour lancer la campagne d'opinion. Puisque les membres de SOS-Racisme n'avaient pas les moyens militants et financiers de construire un mouvement à partir de la base, il s'agissait donc de toucher et de sensibiliser les médias pour atteindre le public le plus large. Mais, bien sûr, pour être reconnu des médias il aurait mieux valu être déjà à la tête d'un « mouvement de masse » qui leur aurait apporté crédibilité et base militante. La campagne autour du badge est donc engagée sur deux fronts, d'abord en direction de personnalités et de vedettes sollicitées pour porter le badge en public, en particulier à la télévision et devenir les parrains de l'association, ensuite en direction du public, pour se constituer une base de « porteurs de badge » anonymes soutenant l'association pour les présenter aux médias[25] . Les débuts sont ardus : sans notoriété et sans soutiens il est difficile d'être pris au sérieux, sans parrains et sans apparitions médiatiques, pas de notoriété. Les quelques militants dont dispose SOS-Racisme tentent de contacter les vedettes dont ils peuvent trouver les coordonnées puis utiliseront les carnets d'adresses des premières personnalités favorables. Les mois de novembre et décembre sont ainsi consacrés à convaincre des personnalités du spectacle et des journalistes. Jean Daniel, en novembre, se montre sceptique [26] ; Ils rencontrent Eric Favereau, le journaliste de Libération couvrant le « secteur de l'immigration » , qui ne comprend pas la logique de leur démarche et en particulier le caractère moral et antiraciste du discours tenu, qu'il considère comme en recul par rapport aux revendications exprimées par le mouvement « beur » . Les responsables des rédactions attendent avant de parler d'une initiative qui n'est pas encore visible et qui peut donc difficilement faire l'objet d'articles. La plupart des artistes sollicités avaient trouvé l'idée généreuse mais hésitaient à s'engager et à agir pour la soutenir, en partie, sans doute, parce que le « décollage » de la campagne était encore incertain[27] . Les conférences de presse du 22 novembre et du 4 décembre 1984, données dans un local prêté par la LICRA et dans le local de SOS, rue Martel, n'attirèrent que quelques journalistes et n'eurent que peu d'écho. Les militants de SOS connaissent alors une phase de découragement : ils ont l'impression que tous leurs efforts sont inutiles et que les personnalités contactées ne s'engageront pas.
      En revanche, les premières distributions de badges avaient rencontré un certain succès, d'abord lors de l'arrivée de la « marche des mobylettes » de « Convergence 84 » , le premier décembre où cinq à dix mille badges auraient été vendus[28] , puis partout où ils avaient tenté de le diffuser, c'est-à-dire principalement dans les universités et les lycées, sans atteindre le volume de vente qui serait bientôt réalisé. Pour augmenter les ventes de badges, il était nécessaire de mieux faire connaître l'association. Des amis du groupe fondateur, anciens membres de l'Unef-Id, qui travaillaient dans l'émission « Droit de Réponse » de Michel Polac, permirent à Harlem Désir d'être présent lors de l'émission du 5 janvier 1985 consacrée à l'immigration et ayant pour principaux invités des Français célèbres d'origine étrangère (Luis Fernandez, Linda de Susa..). L'émission était conçue par Michel Polac pour montrer, contre les discours du Front national sur les étrangers, que l'immigration était un enrichissement pour la France puisqu'elle lui fournissait (entre autres) des chanteuses et des footballeurs de talent. Avant le début de l'émission, Harlem et quelques militants avaient distribué des badges et les avaient fait porter par les participants en leur expliquant le but de l'association. Le badge était donc apparu durant toute l'émission et Michel Polac, à la fin du débat, avait demandé à Harlem Désir d'expliquer en deux minutes ce qu'étaient le badge et l'association. L'adresse et le numéro de téléphone du local ne furent pas donnés lors de cette émission mais le lendemain sur Europe 1 par Michel Drucker qui avait écouté « Droit de réponse » et s'était renseigné sur cette nouvelle association antiraciste. Les deux émissions provoquèrent quelques coups de téléphone au local de l'association durant un ou deux jours. Leurs retombées furent pourtant moins fortes que les membres de SOS-Racisme ne l'avaient espéré, en partie parce que l'adresse et le téléphone de l'association ne furent pas donnés à la télévision. Malgré leurs efforts le décollage n'avait pas eu lieu et la conférence de presse du 10 janvier donnée dans le local de l'association ne produisit, malgré l'affluence et le passage de Georgina Dufoix, alors ministre des Affaires Sociales, que quelques entrefilets dans la presse du lendemain. Le découragement commençait à gagner les quelques militants fondateurs qui ne voyaient pas ce qu'ils pouvaient faire de plus pour attirer sur eux l'attention des médias et des vedettes qu'ils contactaient.

L'explosion médiatique
Du 15 février au 15 juin 1985

Le déblocage se fit par trois voies. Au début de février, Simone Signoret, déjà contactée et intéressée par la campagne du badge qui lui aurait rappelé une campagne antiraciste des années trente, devait participer à l'émission 7/7 d'Anne Sinclair où l'invité pouvait alors choisir le sujet d'un reportage. Simone Signoret, en accord avec les militants de SOS, demanda à ce que ce reportage porte sur le lycée Stephen-Liégeard de Brochon près de Dijon, où un élève, Emmanuel, avait vendu au cours du mois de janvier plusieurs centaines de badges dont une partie était quotidiennement portée. C'était alors le seul lycée où l'on portait vraiment la petite main. Le sujet présenta des lycéens enthousiastes, désintéressés, non politiques et moralement impeccables, brûlants de combattre un racisme qu'ils déclaraient détester. Simone Signoret commenta très favorablement l'initiative de SOS à l'heure de plus grande écoute, affirmant que ces jeunes allaient dans la bonne direction et qu'il fallait soutenir l'association ; l'adresse et le numéro de téléphone qui n'avaient pas été donnés dans un premier temps le furent à la fin de l'émission à la suite des appels de plusieurs militants de SOS simulant des demandes pressantes de téléspectateurs. D'autre part, Bernard-Henri Lévy et Marek Halter, contactés par l'intermédiaire d'Eric Ghébali, acceptèrent de soutenir l'association, notamment en lui ouvrant leurs carnets d'adresses et en utilisant leur capacité à mobiliser leurs relations autour d'une campagne d'opinion. Enfin Jean Daniel et la rédaction duNouvel Observateur, déjà sensibilisés par la prise de contact du mois de novembre et par les diverses apparitions médiatiques de SOS, décident alors de faire un dossier sur le mouvement en plaçant la main jaune en première page. L'image que les fondateurs de l'association voulaient donner d'eux-mêmes réunissait deux caractéristiques susceptibles d'intéresser la rédaction de l'hebdomadaire : un discours antiraciste qui permettait la critique du Front national et un habillage « jeune, moderne et non-politique » qui démarquait l'association de l'antiracisme classique et du militantisme ordinaire. L'article de Jacques Julliard présentant SOS-Racisme décrit l'association comme le produit d'une génération à la fois individualiste et pragmatique qui trouve les partis « ringards » , les manifs et les slogans dépassés, la politique institutionnelle ennuyeuse. SOS-Racisme constitue aux yeux de l'éditorialiste du Nouvel Observateur l'anti-mouvement de Mai, pragmatique au lieu d'être utopiste, concret et non pas dogmatique, agissant en dehors des appareils politiques plutôt que structuré par eux. Il lui apparaît comme le produit du « déclin des idéologies » et de la conversion de la gauche à un « discours libéral » . De fait, SOS proposait une forme de militantisme et d'engagement qui pouvait apparaître spontanée et nouvelle, en particulier parce qu'elle n'exigeait de ses « militants » qu'un engagement minimum, le port du badge et le déplacement aux concerts, au service, non d'un programme revendicatif précis mais d'une cause généreuse et vague, que personne ne pouvait aisément critiquer.
      Le décollage se produisit après la parution du numéro du Nouvel Observateur ayant pour couverture la main de SOS-Racisme. Tout le travail effectué jusqu'en février auprès des personnalités du spectacle et des médias, et qui avait semblé improductif, se trouva réévalué : les journalistes concernés avaient alors entendu parler de SOS, tandis que les « vedettes du show-bizness » qui avaient hésité à s'engager dans un mouvement incertain, pouvaient maintenant se sentir rassurées par la caution de Simone Signoret et du Nouvel Observateur et participer à la grande cause morale de la lutte contre le racisme, sans que leur soutien ne risque de tomber dans l'indifférence ou de ternir leur image. Quelques jours plus tard, le 8 mars, Yves Mourousi qui porte le badge depuis le début du journal de 13 heures sur TF1, le retire après quelques minutes en indiquant que la rédaction a reçu des appels de spectateurs lui demandant de ne pas porter l'insigne au nom de l'apolitisme du journal télévisé. Du coup, Michel Polac, toujours rebelle, arbore la petite main lors de son émission suivante pour marquer sa solidarité avec son collègue Yves Mourousi et pour défier les censeurs. La polémique fait, bien sûr, de la publicité au badge qui commence à être porté à la télévision et dans la rue.
      Ses ventes augmentent rapidement, le téléphone n'arrête pas de sonner au local de SOS-Racisme et le courrier dépasse largement les possibilités de traitement de la petite équipe de militants. Ils se mettent à organiser ce qu'ils appellent des « nuits du courrier » au cours desquelles ils rassemblaient le maximum de sympathisants pour traiter à la chaîne les sacs de courrier qui s'accumulent, envoyer les badges et rassembler chèques et argent liquide[29] . Le succès était là, un peu surprenant et inattendu par son ampleur. Plus on parlait de l'association plus elle vendait de badges, plus elle vendait de badges plus on parlait d'elle. Une longue file d'attente rue Martel matérialisait la demande de petites mains dont les lycées faisaient une consommation abondante. La télévision parlait de SOS-Racisme mais aussi du phénomène du badge. Le décollage de l'opération provoqua un afflux de sympathisants au local de SOS-Racisme. Beaucoup d'acheteurs de badges, des gens venus exprimer leur soutien mais aussi des personnes proposant leur aide et désireuses de militer dans un mouvement si populaire. Parmi celles-ci, des militants « de gauche » , des Jeunesses Communistes, de la Ligue Communiste Révolutionnaire ou du Parti socialiste, des jeunes dont c'était la première expérience militante et aussi des jeunes issus du « mouvement beur » divisé depuis l'arrivée de « Convergence 84 » . Les fondateurs de SOS-Racisme les organisèrent peu à peu en comités locaux, ne serait-ce, dans un premier temps, qu'en constituant un fichier des contacts départementaux et en fournissant aux nouveaux arrivants les coordonnées de quelques militants déjà répertoriés.
      Bernard-Henri Lévy et Marek Halter prirent en main l'organisation de la conférence de presse du 19 février qui suivit le dossier du Nouvel Observateur. Ils invitèrent personnellement des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, demandèrent des articles à des journalistes avec qui ils étaient en contact, s'assurèrent de la présence de plusieurs caméras de télévisions étrangères pour donner du lustre et de l'importance à cette conférence de presse organisée cette fois, non au siège du mouvement, dans le dixième arrondissement, mais à l'hôtel Lutétia, Boulevard Raspail. La présence de Coluche et de plusieurs autres parrains qui firent le spectacle assura le succès de la réunion : plusieurs articles parurent les jours suivants et les journalistes des services immigration et société ne pouvaient plus ignorer l'existence de SOS. Cela donna le départ à une vague d'articles très abondante et par conséquent à une série de reportages dans les journaux télévisés, présentant la nouvelle association ou se penchant sur le phénomène du badge. La presse était particulièrement attentive aux actions de l'association : durant ces quelques mois de février à décembre 1985 chaque action de l'association fut remarquée, commentée, appréciée et parfois critiquée, mais rarement passée sous silence. SOS devint la première association antiraciste en France, éclipsant par son dynamisme médiatique les organisations les mieux établies, moins par ses effectifs, son implantation ou son crédit public que parce que les journalistes en parlaient davantage que de ses concurrentes. Tous les badges vendus finissant par se voir dans la rue, puisque au moins une fraction de ceux qui les achetaient les portait publiquement, nul ne pouvait plus ignorer l'existence de l'association et de la main colorée.
      L'équipe fondatrice (qui commençait à ce moment à s'élargir) était d'ailleurs très active et, parallèlement à la vente de badges qui se poursuivait au local, sur les marchés et dans les lycées, montait des actions et des manifestations comme le meeting organisé le 21 février à la Mutualité par l'UEJF qui y avait associé SOS-Racisme[30] . L'image d'association jeune de la « communauté juive » avait permis à l'UEJF d'attirer sur le slogan « je ne suis pas raciste mais... il n'y a pas de mais » , des représentants de partis politiques (Jean-François Deniau, François Doubin, Olivier Stirn, Dominique Baudis, Bernard Pons, Georgina Dufoix et Bertrand Delanoë), des vedettes du spectacle (Philippe Noiret et Marie-France Pisier) et des universitaires (Emmanuel Le Roy Ladurie) devant quelques centaines de personnes, ce que SOS, association trop récente, était encore incapable de faire. Bernard Pons, représentant du RPR, fut pris à partie et hué[31]  lorsqu'il aborda la question des relations entre le RPR et le Front National et Emmanuel Le Roy Ladurie s'affirmant outré par « l'intolérance » du public aux propos du responsable du RPR quitta la réunion. Si le bilan en terme de crédibilité et de neutralité politique n'était peut-être pas sans mélange, le meeting avait permis à SOS et à l'UEJF d'intervenir dans le débat politique sur les questions de l'antiracisme, de l'immigration et du Front National et préfigurait ce que serait l'attitude de l'association entre 1986 et 1988.
      Dans le même temps, SOS multipliait, lors des « crimes racistes » , les interventions publiques à Paris et en province. Ainsi, après l'agression, le 13 février, de Saïd Zanati à Notre-Dame-de-Gravenchon près du Havre par quatre jeunes français qui voulaient « commencer le nettoyage de la ville » d'après ce qu'ils déclarèrent ensuite à la police, deux membres du « Bureau National » de SOS, Hervé Chevalariat et Jean-Pierre Chaumont allèrent au Havre, rendirent visite au blessé, rencontrèrent les pouvoirs publics et les contacts que pouvait avoir SOS sur place. Ils restèrent dix jours, vendirent des badges, distribuèrent des tracts dans les lycées, y montèrent des comités Stop-racisme et organisèrent, le 7 mars, une journée « ville ouverte » ainsi qu'un débat dans la salle des fêtes du Havre auquel participaient Harlem Désir, Bernard-Henri Lévy, Guy Konopnicki et Ivan Levaï. Le lendemain, Ivan Levaï raconta la soirée lors de son billet matinal à Europe 1 tandis que Bernard-Henri Lévy et Harlem Désir étaient interrogés sur France-Inter. Après le meurtre d'Aziz Madak le 22 mars à Menton, SOS-Racisme envoya sur place Pierre Raiman et organisa à Paris une campagne contre le crime raciste autour d'une minute de silence et de débats avec Costa Gavras et Daniel Gélin au lycée Voltaire et Coluche au lycée Henri IV. À Menton, une délégation de SOS conduite par Julien Dray et Harlem Désir assista à la manifestation du 26 qui rassembla environ 5000 personnes. L'avocat de la famille sera celui de SOS, Francis Terquem.
      Le « crime raciste » de Menton fut l'occasion de la première campagne de presse centrée sur SOS-Racisme et son action : Le Matin de Paris fit paraître plusieurs cahiers spéciaux consacrés au « crime raciste de Menton » et aux diverses manifestations de SOS dans lesquels chaque page était surmontée du sigle de la petite main : 7 pages le 26 mars dont la une, 5 le 27 mars dont la une, 4 le 28 mars et deux encore le 29 mars, tandis que Libération consacra à l'affaire 4 pages dont la une le 27 mars[32] . SOS y apparaît comme l'association antiraciste la plus combative, celle qui par un activisme sans faille organise la riposte morale contre les racistes et le Front national. Cette couverture de la presse lui permet d'accroître sa notoriété auprès du public, d'éclipser, sur le front médiatique, les associations antiracistes établies et les associations communautaires et « beurs » , et de raffermir son emprise sur les lycées en assurant à la vente des badges une publicité considérable.
      Le samedi 30 mars, Nourredine Hassan Daouadj est assassiné à Miramas ; Julien Dray et Pierre Raiman s'y rendent immédiatement. Ils mènent auprès des amis, des voisins et de la famille de la victime, une enquête parallèle à celle de la police pour déterminer les circonstances de la mort de Nourredine et mettent en cause la version officielle pour établir l'existence du « crime raciste » . Dès le lundi 1er avril, ils tiennent une conférence de presse pour démentir la version des faits de la police et annoncent que l'association prend à sa charge le rapatriement du corps et les frais d'avocat. La politique des responsables de SOS est alors d'organiser une campagne d'indignation publique pour toutes les agressions dont étaient victimes des « beurs » . Il s'agit d'arracher ces morts ou ces blessés à la contingence de ce qu'ils appellent la « version policière » : « bagarres d'ivrognes » , « querelles de voisinage » , « règlements de comptes entre petits truands » pour en faire des « crimes racistes » dont les causes et donc les conséquences médiatiques seront tout autres. Cela leur permettait également de se faire connaître, de se poser en défenseurs des « beurs » , de constituer un réseau de soutiens et de comités là où s'étaient déroulés les événements et de montrer aux médias qu'ils disposaient d'une base. À Miramas, les envoyés de SOS rencontrent pour la première fois l'hostilité d'autres acteurs. Le maire communiste de Miramas qui a organisé une manifestation dans sa ville le lundi 1er avril et a participé, le vendredi suivant, à une autre manifestation à Marseille organisée par la CGT, le MRAP et l'amicale des algériens en Europe, considère que la manifestation que SOS-Racisme veut organiser le samedi est « inutile et dangereuse » et qu'elle risque « d'exacerber les passions au lieu de les apaiser » . De son côté, l'amicale des algériens en Europe semble percevoir SOS-Racisme comme un concurrent. Harlem Désir assure que les envoyés de SOS ont toujours agi avec l'accord de la famille et des amis de Nourredine qui participeront à la manifestation du samedi 6 avril. Pour les responsables de SOS-Racisme, ces premières manifestations d'hostilité envers l'action de l'association seront ensuite utilisées par certains groupes de « beurs » pour critiquer l'action « sur le terrain » de SOS sur le thème : « Dès qu'il y a un mort ils viennent de Paris en avion comme des charognards, ils écrasent les associations locales et se moquent de la douleur de la famille » .

Le 28 mars, l'UEJF et SOS-Racisme organisent un meeting à l'université d'Assas dans le fief de l'extrême droite étudiante devant une salle de plus de 2.000 personnes autour d'un débat avec Jean Imbert, président de l'université d'Assas, Bernard-Henri Lévy, Marek Halter, Philippe Sollers, Ivan Levaï, André Glucksmann, M. Denquin et Harlem Désir. Le lendemain la presse insistait sur le caractère symbolique d'un meeting antiraciste à Assas et sur la présence de SOS-Racisme qui tendait à éclipser celle de l'UEJF, pourtant principal organisateur[33] . Le lendemain, une bombe explosait dans le cinéma Rivoli-Beaubourg qui programmait un festival du film juif en faisant 20 blessés. Même si l'enquête n'a jamais abouti et si l'hypothèse n'a pas été avancée par la presse dans les jours qui suivirent, Eric Ghébali fait aujourd'hui un lien entre l'attentat et le meeting à Assas. Selon lui l'explosion du cinéma aurait été une riposte à la « provocation » de la veille. L'émotion que suscite dans la presse et dans le monde politique l'explosion du cinéma est considérable tant est forte la sensibilité aux actes antisémites. La mobilisation de réaction est très rapide mais SOS-Racisme malgré la présence à ses côtés des responsables de l'UEJF n'est pas au premier rang des organisations à qui la presse donne la parole pour réagir. Les possibilités d'action de SOS-Racisme semblent plus fortes lorsque les « crimes racistes » impliquent des « beurs » que lorsque les agressions ont un caractère antisémite. Le samedi 30 mars 1985 SOS participe, à Montparnasse, à une manifestation appelée par le MRAP et de nombreuses associations immigrées pour protester contre les meurtres de Menton et de Miramas. Cette manifestation qui réunit de 2.000 à 5.000 personnes[34] , est en partie organisée par les associations de « beurs » et de travailleurs immigrés pour ne pas laisser à SOS-Racisme le monopole de l'indignation et de l'action dans les affaires de Menton et de Miramas. On y entend pour la première fois le slogan « Arabe à Paris, Juif à Menton, c'est toujours nos potes qu'on assassine » qui sera repris le lendemain par SOS et l'UEJF lors de la manifestation organisée devant le cinéma par les associations de la « communauté juive » .
      Lors de cette phase ascendante, le local de l'association voit affluer des lettres et des coups de téléphone demandant quelle est l'antenne de SOS-Racisme la plus proche ou la marche à suivre pour fonder un comité. C'est à cette période que sont créés les premiers comités Stop-racisme, dotés d'une structure juridique propre pour ne pas impliquer l'association mère en cas de difficulté. Toutes les bonnes volontés sont acceptées puisque le groupe fondateur n'a pas les moyens humains de contrôler réellement l'ensemble de ceux qui se présentent et qu'il est nécessaire de profiter de l'euphorie ambiante et du phénomène de mode pour former et structurer une organisation nationale. Les statuts juridiques de l'association[35]  mettent à l'abri le groupe fondateur de toute tentative de prise de contrôle et lui permettent ainsi d'accueillir sans trop d'inquiétude des militants provenant d'autres structures politiques. Ceux qui se présentent ne sont pourtant généralement pas organisés (à part les militants de la LCR) et connaissent là pour beaucoup leur première expérience militante. Ils seront donc sans grande difficulté incorporés à la majorité de l'association organisée autour du groupe originel.
      Cependant, le succès et la notoriété de SOS ne satisfont pas tout le monde, en particulier les responsables des associations du « mouvement beur » qui étaient quelques mois auparavant sur le devant de la scène médiatique. Ils ont le sentiment que le succès de SOS, les marginalise et les prive du fruit de leurs actions. Les options tactiques de l'association (apolitisme, mouvement festif et non-revendicatif, thème du mélange) apparaissent aussi comme des choix politiques de fond, à l'opposé de ceux qu'ont fait beaucoup de mouvements beurs, qui tiennent souvent un discours « radical » et parfois « identitaire » . Les prises de positions de la plupart des dirigeants d'associations de la « deuxième génération issue de l'immigration » sont donc très hostiles à SOS-Racisme. Ce mécontentement s'exprime d'abord, le 30 avril, par une lettre du père Christian Delorme à SOS-Racisme, rendue publique début mai par le journal Le Monde, où il indique, d'une part que la présence en tant qu'organisation au sein de SOS de la seule UEJF « commence à faire douter de l'indépendance et de la spontanéité du mouvement » , d'autre part que « SOS tend à devenir hégémonique et à éclipser les autres acteurs organisés de la résistance au racisme et à la ségrégation » . L'hostilité des associations beurs[36]  se manifestera ensuite dans les secteurs où celles-ci seront suffisamment fortes ou lorsque des adversaires de SOS-Racisme auront besoin de remettre en cause sa représentativité « sur le terrain »[37] .
      Les tentatives d'union des différentes associations locales en un mouvement « beur » autonome qui aurait pu opposer à SOS-Racisme une authenticité et une représentativité fortes n'aboutissent pas ni entre février et juin 1985 ni plus tard. Il y a plusieurs raisons à cet échec. Les associations beurs ne regroupent qu'une très faible proportion de leur « base potentielle » . Les deux marches ont rassemblé autant de manifestants surtout parce que la presse et la télévision en ont largement parlé et qu'il s'agissait d'une mobilisation ponctuelle n'exigeant rien d'autre qu'une présence lors de la manifestation. Les associations « beurs » « radicales » qui ont organisé les marches n'ont pas d'alliés politiques et pas de subventions autonome[38] . Il leur est par ailleurs très difficile d'obtenir un financement privé. Les financements publics qu'ils peuvent solliciter sont soumis à une décision politique. L'obtention et le renouvellement des moyens de développement des associations « beurs » sont donc conditionnés par leur attitude vis-à-vis des institutions payeuses. Enfin, aucun leader ne fait l'unanimité et il existe des divergences profondes concernant le discours et les prises de position que doit adopter le mouvement, entre les partisans d'une intégration plus forte à la communauté française (revendication d'égalité des droits et de disparition des discriminations) et ceux qui souhaitent une affirmation plus identitaire (revendication de la possibilité de maintenir une identité cultivée et forte). Ces deux discours possibles sont sans doute en partie fondés sur un même dépit et une même amertume ressentis devant certaines formes d'exclusion et de rejet. Toutefois, leur opposition structure les discussions entre les organisations « issues de l'immigration » et tend à rendre moins probable une organisation nationale et autonome des «  beurs » .
      En l'absence d'une organisation communautaire pouvant s'opposer à SOS, de nombreux « beurs » n'appartenant pas à une association constituée vont rentrer à SOS-Racisme comme d'autres jeunes « porteurs de badges » pour fonder des comités et participer à la mobilisation (par exemple Malek Boutih ou plus tard Nasser Ramdane). D'autre part, les difficultés de l'union des associations de la deuxième génération immigrée vont conduire certains membres de la « mouvance beur » à intégrer SOS-Racisme (par exemple Kaïssa Titous et Malik Lounès du collectif parisien) parce qu'ils considèrent que SOS-Racisme s'est imposé et qu'il vaut mieux être à l'intérieur. La direction de SOS, dont la composition (essentiellement des militants étudiants français et blancs) prêtait, en effet, le flan aux critiques, cherchait justement des beurs pour se constituer une base d'aspect « authentique » . Kaïssa Titous, Malek Boutih, Hayette Boudjema et Malik Lounès seront donc successivement vice-présidents de l'association et deviendront les porte-parole « beurs » de SOS-Racisme. L'arrivée à la direction de SOS de militants qui n'ont pas suivi le parcours des membres fondateurs occasionne des tensions : lors du premier congrès de SOS-Racisme à Epinay-sur-Seine en 1986, le principal débat aura lieu entre, d'une part, Julien Dray et la direction historique de l'association et, d'autre part, Kaïssa Titous qui, soutenue par les militants de la LCR, tentera de constituer au sein de SOS une tendance « beur » , attachée à défendre la spécificité des « jeunes issus de l'immigration maghrébine » .
      Après le succès de la campagne du badge, les fondateurs de SOS-Racisme cherchent à capitaliser leur succès initial par un grand rassemblement qui matérialiserait le soutien des « potes » plus directement que le simple port du badge. L'organisation d'une manifestation est délicate et ils ne sont pas certains de réussir à convertir des « militants de badge » en militants plus actifs et plus présents, en « militants de manifestation » . Depuis février leur objectif est d'organiser un concert ou un « festival musical multiracial » pour la fin avril. Devant les nouvelles perspectives qu'ouvrent les ventes importantes du badge, l'association décide d'organiser un grand concert gratuit où serait invité l'ensemble des antiracistes et en particulier la « jeunesse métissée » , pas encore « black, blanc, beur » . Le carnet d'adresses, les nouveaux contacts dans le monde du spectacle, des médias et de la politique et le considérable mouvement de sympathie dont bénéficie l'association lui permettent d'envisager la constitution d'un plateau pléthorique et peu coûteux. SOS-Racisme organise donc une série de concerts début mai à Lille, Bordeaux, Lyon, Rennes et Belfort qui se terminera par le grand concert du 15 juin à Paris.
      Le problème essentiel de l'organisation de la fête est bien sûr celui de son financement qui coûtera environ trois millions de francs. Le paiement des frais des artistes et celui de l'équipe d'Album Production, spécialisée dans l'organisation de concerts sera assuré par des subventions publiques (en particulier un million de francs du ministère de la culture), les droits de retransmission télévisée versés par TF1 et par des sponsors publics et privés (UAP, Philip Morris, Société Générale, Thomson...). Ce financement est censé être indépendant de la trésorerie normale de l'association qui assure chercher des financements spécifiques pour le concert. Les responsables de l'association feront des déclarations contradictoires sur le complément du financement du concert. Tantôt ils assureront que la fête de la Concorde a été financée en dehors de la trésorerie ordinaire de SOS pour faire valoir qu'ils n'ont pas dilapidé inutilement leurs réserves, tantôt ils diront que les réserves accumulées lors de la vente des badges ont été utilisées pour combler le déficit du concert[39]  (en particulier lorsqu'ils voudront demander de l'argent). SOS a été par la suite souvent critiqué pour dépenser chaque année des sommes très importantes (jusqu'à 6 millions de francs) pour le concert au lieu de les employer pour des actions « de terrain » ; les responsables de l'association se sont toujours défendus en disant qu'ils ne recueillaient ces sommes que parce qu'ils organisaient un grand concert public et que le ministère de la culture, les télévisions et les sponsors ne payeraient pas pour d'autres opérations moins spectaculaires.
      La couverture du concert de 1985 par la presse, principalement Libération etLe Matin de Paris est très volumineuse : Libération fait trois dossiers spéciaux, respectivement de huit, six et sept pages, les trois jours qui précèdent le concert, annonçant la fête, donnant le programme, faisant le point sur le racisme en France et fournissant un historique de SOS-Racisme et des mouvements beurs ; Le Matin consacre au concert une page tous les jours de la semaine du 10 au 15 avec un dossier de huit pages le samedi et un cahier spécial annonçant le programme qui sera distribué gratuitement dans la foule durant la soirée. Le Monde et La Croix annoncent également favorablement le concert tandis que le Quotidien de Paris lui fait aussi de la publicité en dénonçant « la main du PS dans la culotte du beur » et le gouvernement qui « orchestre le concert des potes »[40] . Environ 70 articles consacrés à SOS-Racisme sont publiés dans les principaux quotidiens de la presse parisienne dans la semaine qui précède le concert et plusieurs reportages télévisés annoncent l'événement. Celui-ci, place de la Concorde, est un grand succès : il draîne entre 200 et 500.000 spectateurs selon les estimations. Il est largement retransmis par TF1 et ce succès est abondamment commenté par la presse les jours suivants : l'association accroît encore sa notoriété, et tend à apparaître comme la première et la plus dynamique association antiraciste en France.

La construction de l'association
Du 15 juin 1985 au 16 mars 1986

Après une courte période de repos, les responsables de SOS, pour ne pas laisser retomber la vague médiatique, continuent à mener des actions spectaculaires. Ils organisent l'occupation du bureau parisien des lignes aériennes d'Afrique du Sud dont ils sont délogés énergiquement par la police. Ils lancent d'autre part, à l'initiative de Kaïssa Titous, un « Voyage de l'égalité » en Europe du Nord, dont l'objectif affiché est de comparer publiquement la situation des immigrés en France avec celle qui leur est faite dans les autres pays d'Europe et d'établir des contacts en vue du lancement d'un mouvement antiraciste européen. La couverture de la presse (exclusivement Le Matin de Paris et Libération) restera assez forte[41] . Ce voyage de trois semaines qui passe par Bruxelles, Bruges, Amsterdam, Copenhague et Stockholm consiste essentiellement en une série de rencontres avec les associations d'immigrés et les organisations antiracistes et avec des responsables municipaux et gouvernementaux. Le « Voyage de l'égalité » culminera avec la rencontre d'Olof Palme en Suède et deux articles du Matin et de Libération dresseront un bilan positif de l'opération.
      Après le succès médiatique et militant de la « marche des beurs» de Toumi Djaïdja et de Christian Delorme en 1983 et de « Convergence 84 » de Farida Belghoul, l'organisation d'une éventuelle troisième marche devenait un enjeu important. Certaines organisations « issues de l'immigration » voulaient en profiter pour faire la démonstration que SOS ne disposait pas du soutien de la base de la « deuxième génération » des cités, tandis que les responsables de SOS-Racisme voulaient montrer au contraire que l'association n'était pas seulement un « phénomène médiatique » mais qu'elle pouvait au contraire mobiliser sur « le terrain » et se faire le relais des revendications concrètes des « beurs » . L'organisation de deux marches concurrentes semblait inévitable. Pour les responsables de SOS, l'association devait se poser en héritière directe des deux précédentes marches[42] . L'important pour SOS était donc d'apparaître avec des « beurs » pour faire taire les rumeurs de « manque de représentativité » de l'association ou de trop forte influence de l'UEJF au Bureau National que tendaient à répandre Christian Delorme et les organisations « beurs » ; il lui suffisait donc de participer à une marche unitaire au coude à coude avec d'autres associations beurs ou antiracistes, de faire partie d'une mobilisation commune. SOS a donc plutôt recherché la conciliation et l'unité d'action. Pour le collectif d'associations « beurs » le problème était justement de ne pas apparaître avec SOS-Racisme pour défendre leur monopole de la représentativité des « jeunes issus de l'immigration » . Le collectif « beur »[43]  d'organisation de la troisième marche refusa donc de fusionner les deux initiatives pour isoler SOS-Racisme et pour ne pas lui donner la caution et la légitimité du « mouvement beur» . Il y aura donc deux marches séparées et SOS appellera à l'unification des marches durant le parcours et en particulier à Lille ou à Montpellier où les deux groupes se sont croisés. À la suite de dissensions internes[44] , la première marche aura tendance à s'étioler pour ne rassembler à Paris qu'environ 3.000 personnes selon les journalistes le 30 novembre 1985. Au contraire la manifestation organisée lors de l'arrivée de la marche de SOS-Racisme, le 7 décembre, réunira entre 25.000 et 80.000 personnes[45]  et sera présentée comme un succès de l'organisation. L'arrivée et la manifestation de la Bastille au Palais Royal seront accompagnées par des animations diverses (groupe Urban Sax jouant du saxophone en émergeant d'un brouillard artificiel hissé par des plates-formes hydrauliques) et suivies par un concert gratuit dans un hangar du Bourget où l'on fera pleuvoir sur les spectateurs de la neige artificielle[46] . La couverture de presse est encore très fournie puisque plus d'une quarantaine d'articles seront consacrés soit au déroulement de la marche de SOS, soit à l'annonce de son arrivée, de la manifestation et du concert, soit au résultat du rassemblement. Ces articles proviennent surtout du Monde, de Libération et du Matin de Paris où le journaliste qui couvre alors la marche est l'un des membres fondateurs de SOS, Didier François.
      Parallèlement à la marche, SOS-Racisme, à l'initiative de Bernard-Henri Lévy, lance un « appel des intellectuels contre le racisme » et organise des « assises antiracistes » le 24 novembre 1985 au théâtre de l'Athénée, sorte de colloque de réflexion sur le racisme auquel participeront des artistes et des intellectuels[47]  et qui donnera lieu à plusieurs articles du Matin, de Libération et du Quotidien de Paris. Ce colloque est en partie organisé pour changer l'image de SOS-Racisme et pour montrer qu'il ne s'agit pas d'un mouvement fondé par de jeunes naïfs, plus prompts à réagir épidermiquement qu'à réfléchir. En effet, la légende de Diego et le discours très peu polémique de l'association paraissaient avoir en partie dépassé leurs objectifs et il semblait nécessaire aux dirigeants d'acquérir plus de crédibilité et de faire apparaître l'association comme un lieu de réflexion et d'élaboration programmatique. La création de « Brain-Potes » , comité de parrains chargé d'élaborer des argumentaires, des projets et des réflexions pouvant servir Harlem Désir et les porte-parole du groupe dans leurs interventions publiques, permettra de réunir périodiquement un réseau de soutiens autour de discussions à la fois intellectuelles, mondaines et médiatiques. SOS-Racisme continuera à organiser des colloques jusqu'en 1990 et le déclin de son activité de colloque correspondra à la chute de son influence dans le milieu médiatique après « l'affaire des foulards » et la Guerre du Golfe.
      Fin 1985, SOS-Racisme est au sommet de sa notoriété ; des comités de militants se créent dans de nombreuses villes, la presse parle beaucoup de l'association et le gouvernement la soutient financièrement ; seuls certains militants « beurs » la critiquent mais la presse s'en fait peu l'écho. Le concert du Bourget, subventionné seulement en partie par le ministère de la culture, a quelque peu épuisé l'argent que l'association avait gagné sur la vente des badges[48] . Les dirigeants de SOS lancent donc début 1986 une campagne baptisée « potes-money » pour trouver de nouvelles ressources[49] ; ils mettent à contribution leurs parrains à qui ils demandent la recette d'un de leurs spectacles. L'action de l'association sera, après 1985, constamment limitée par la faiblesse de ses sources de financement. Le changement de majorité en mars 1986 va fortement limiter les subventions gouvernementales. Alors que le gouvernement socialiste donnait, en dehors du concert, environ 2,5 millions de francs par an, SOS n'aurait reçu que 400.000 francs de subvention en 1986 et pas grand chose en 1987 (c'est-à-dire après les événements étudiants de 1986)[50] . Ils poursuivront leurs activités pendant la période de la cohabitation d'une part en faisant des dettes qui les suivront longtemps, d'autre part avec la coopération d'organisations alliées (par exemple la FEN ou la MNEF) ou de mairies favorables[51]  et grâce à la générosité de « mécènes » (Christophe Riboud, Nicolas Seydoux et surtout Pierre Bergé) qui payeront en partie les dépenses de fonctionnement de l'association[52] . Grâce à ces partenaires, aux droits de retransmission et aux exigences réduites des artistes, SOS-Racisme parviendra à assurer le financement des concerts annuels de juin en 1986 et 1987. Toutefois, la routinisation de l'événement va au fil des années réduire l'écho médiatique du concert qui sera de moins en moins bien annoncé et couvert. Il restera cependant pour SOS-Racisme l'occasion de montrer que l'association est capable de mobiliser la jeunesse, et en particulier celle des banlieues, même si c'est pour un événement musical, et qu'elle est donc fondée à parler en faveur des « beurs » et de la « deuxième génération immigrée » .

La cohabitation
Du 16 mars 86 au 8 mai 88.

Les campagnes électorales, focalisant l'attention des médias, sont généralement peu propices à des tentatives de mobilisation ou à des stratégies médiatiques. SOS diminue donc ses activités à partir de janvier 1986 et n'intervient pas dans une élection qui apparaît comme déjà perdue pour le gouvernement de Laurent Fabius. Les responsables de l'association qui sont pour la plupart membres du Parti socialiste ne veulent d'ailleurs pas discréditer leur organisation en soutenant publiquement les partis de « gauche » . Après les législatives du 16 mars, l'image publique de SOS-Racisme reste donc celle d'une association apolitique, interpellant les responsables des différents partis sur « la question du racisme » mais sans être inféodée à aucun d'entre eux. Pourtant la campagne électorale avait été marquée par la probable arrivée à l'Assemblée de plusieurs dizaines de députés du Front National. La plate-forme électorale de la nouvelle majorité qui n'entendait pas laisser à Jean-Marie Le Pen le monopole de la critique du « laxisme des socialistes » en matière d'immigration contenait un certain nombre de projets de lois, notamment concernant la réforme du code de la nationalité, la réforme des procédures d'expulsion, l'extension des contrôles d'identité, avec lesquels SOS-Racisme ne pouvait pas être en accord. Le principal problème de l'association était donc d'exprimer ce désaccord sans paraître s'opposer par principe aux orientations d'un gouvernement « de droite » .
      Après les élections, le gouvernement de Jacques Chirac bénéficie pendant quelques mois de ce qu'il est convenu d'appeler « l'état de grâce » , période d'attente des premières initiatives gouvernementales et des effets de la nouvelle politique, pendant laquelle personne ne peut critiquer une action gouvernementale qui n'existe pas encore. SOS-Racisme adopte alors ce que ses responsables appellent « un profil bas » , ne critiquant pas d'emblée les premières mesures ou les premières déclarations des nouveaux responsables gouvernementaux. Julien Dray et Harlem Désir rencontrent M. Philippe Seguin, ministre des affaires sociales et M. Claude Malhuret, secrétaire d'Etat aux droits de l'homme et en obtiennent des subventions (respectivement 300.000 et 50.000 francs). Ils font en retour des déclarations prudentes où ils assurent vouloir « juger le gouvernement à ses actes » . Les responsables de SOS-Racisme préfèrent se démarquer de toute démarche d'opposition et ne veulent pas, en critiquant le nouveau gouvernement, porter atteinte à leur image de neutralité politique encore réelle en 1986[53] . Si, dès le mois d'avril, Harlem Désir avait fait part à la presse de ses « inquiétudes » devant les projets de réforme des procédures d'expulsion et du code de la nationalité, il prenait soin de dire que l'association « dialoguait » avec les ministres concernés pour « les convaincre de revenir sur [ces] projets » et qu'il trouvait « rassurant que dans les bureaux ministériels on ne fasse pas l'amalgame entre l'insécurité et l'immigration »[54] . Mais la concrétisation des projets de lois du gouvernement et la fin progressive de « l'état de grâce » vont conduire l'association à une attitude plus critique. L'arrivée de Charles Pasqua au ministère de l'intérieur coïncide avec une série d'actes de violence commis par des policiers sur des jeunes ou des travailleurs immigrés, actes que la presse appelle habituellement des « bavures » . SOS-Racisme ne va pas, dans un premier temps, critiquer le gouvernement sur les projets de lois « anti-immigration » qui semblent avoir été favorablement accueillis par les électeurs mais va faire campagne autour des « bavures » , des abus de la police, qui, moins abstraits que les conséquences d'un projet de loi, sont susceptibles de produire une indignation plus directe. SOS-Racisme va organiser une série de conférences de presse pour rendre publics des cas de « bavures » qui n'auraient sans cela probablement pas eu une aussi forte diffusion médiatique. Ainsi le 28 mars l'association présente à la presse le cas de Patrick Deguin qui aurait été frappé par des policiers d'un commissariat du 12ème arrondissement ; le 13 mai elle indique que six « bavures » graves ont eu lieu en deux mois[55]  ; le 4 juin l'association expose au cours d'une conférence de presse le cas de plusieurs personnes qui s'estiment victimes de « bavures» de la part de la police ou de services publics. Jusqu'en juin le ton de l'association reste modéré[56] . Le ton change en juillet après la mort de Loïc Lefebvre, abattu par un CRS[57] . Le second concert de SOS est alors passé et le besoin de subventions probablement moins pressant, tandis que « l'état de grâce » tend à s'affaiblir ; cela va permettre à l'association de se montrer plus critique et d'attaquer le gouvernement et en particulier le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, après les deux « bavures » de juillet, celles de Loïc Lefevbre et de William Normand. Il est difficile pour SOS de médiatiser directement ces « bavures » parce que les victimes ne sont pas « beurs » et que les journalistes vont toujours obliger l'association à se justifier de sortir du rôle de stricte défense des immigrés que lui assigne son nom[58] . Pourtant, SOS va proposer deux avocats « militants » (dont celui de l'association, Francis Terquem) pour représenter les intérêts des familles et va porter le débat sur la place publique en organisant des conférences de presse dans les locaux de l'association pour remettre en cause la version officielle des faits[59] . Au contraire de la préfecture de police et du ministère de l'Intérieur qui cherchent à minimiser les « bavures » et présentent – selon SOS – les « victimes » comme des « coupables » , les porte-parole de l'association veulent convaincre la presse, d'une part que la version des faits donnée par la police est erronée, d'autre part que la responsabilité des bavures incombe non aux policiers mais au ministre lui-même, accusé d'introduire une « ambiance sécuritaire » au sein de la police[60] . À la suite d'un article très violent de Francis Terquem dans Le Nouvel Observateur, construit sur le modèle du « j'accuse » d'Emile Zola, reprochant à Charles Pasqua d'avoir fait au moins quatre victimes depuis son arrivée Place Bauveau[61] , le ministre menace Francis Terquem, Julien Dray et Le Nouvel Observateur de poursuite en diffamation. La polémique prend de l'ampleur et contribue à faire apparaître Charles Pasqua comme un ministre particulièrement répressif et dangereux, image qui sera également utilisée en décembre lors de la mort de Malik Oussekine.

Les fondateurs de SOS-Racisme sont issus de la tendance Plus de l'Unef-Id, mais en créant l'association antiraciste ils n'ont pas abandonné le syndicalisme étudiant. En 1986, la majorité de l'Unef-Id qui était dirigée par Jean-Christophe Cambadélis fonde « Convergence Socialiste » et passe du Parti communiste internationaliste (lambertiste) au Parti socialiste (courant mitterrandiste puis jospiniste). Le syndicat étudiant ne change pas de direction mais devient majoritairement socialiste. Les militants proches de Julien Dray, particulièrement implantés à Villetaneuse et à Créteil, perdent donc la direction de la tendance socialiste mais intègrent la majorité du syndicat. Lors de la rentrée universitaire de 1986, Ils se trouvent en position de s'opposer au projet de loi de réforme de l'université présenté par Alain Devaquet, ministre de l'enseignement supérieur. Ils ont le sentiment qu'une mobilisation est possible contre le gouvernement sur ce sujet. Les militants de Villetaneuse[62]  commencent donc un travail de sensibilisation des étudiants au projet de loi et à ses conséquences : distributions de tracts, affiches, réunions, discussions avec les nouveaux étudiants au moment des inscriptions en juillet. À partir de novembre, il y a accélération de l'activité de sensibilisation des étudiants au projet de loi, organisation d'A.G. et finalement vote de la grève à Villetaneuse. Julien Dray rencontre alors plusieurs journalistes, à la fois pour leur signaler l'importance du mouvement en train de naître et pour leur indiquer que sa mouvance est à l'origine de la mobilisation. Bien qu'ils rendent compte des grèves des universités de Villetaneuse et de Caen, la plupart des journalistes demeurent encore sceptiques sur l'ampleur que peut prendre le mouvement. Les étudiants des facultés déjà en grève sont toutefois aidés dans leurs efforts de diffusion du mouvement par la publicité que lui donnent les médias. Au bout de quelques jours la plupart des universités sont en grève.
      La tendance SOS[63]  de l'Unef-Id est vite incapable de garder l'initiative au sein du mouvement car elle se retrouve minoritaire dans la coordination nationale face à la majorité de l'Unef-Id[64]  et aux autre groupes politiques. Pourtant elle maintient en partie son influence sur le mouvement à la fois grâce aux journaux télévisés qui ont fait d'Isabelle Thomas le personnage emblématique de l'action étudiante, et grâce au milieu lycéen où l'organisation lycéenne de SOS, la FIDL[65]  est moins mal implantée que la plupart des autres organisations, Lutte Ouvrière exceptée[66] . La mort de Malik Oussekine marquera la défaite du gouvernement contraint d'apparaître comme répressif, dangereux et autoritaire. On peut faire l'hypothèse que la « réputation répressive » de Charles Pasqua et de Robert Pandreau, en partie construite par SOS-Racisme au moment des « bavures » de juillet a contribué à rendre plus facile l'imputation de responsabilité de la mort de Malik Oussekine au gouvernement. En terme de notoriété, SOS-Racisme ne bénéficiera pas directement de la « victoire» du mouvement étudiant puisque son nom et son sigle ne sont pas autant apparus que ceux de l'Unef-Id. Celle-ci verra ses effectifs augmenter mais la majorité issue de « Convergence Socialiste » en profitera davantage que la « sensibilité Villetaneuse » . Alors que tous les militants dont disposait SOS ont été mobilisés à plein temps pour animer les A.G., organiser les lycéens ou préparer les manifestations, le grand public ignorera généralement le rôle qu'ont tenu les responsables de SOS dans le déclenchement et dans le déroulement des manifestations étudiantes de 86. En revanche, les responsables politiques et les journalistes connaissent d'autant mieux l'activité de SOS que Julien Dray, pour lutter contre la mainmise croissante de la majorité de l'Unef-Id sur le mouvement, a informé certains journalistes du rôle de son groupe dans le déclenchement de la grève.
      L'incertitude sur l'identité politique de l'association est donc levée en 1986, à la fois par la campagne contre les « bavures » et par la participation au mouvement de décembre. Mais si les dirigeants politiques et les journalistes savent que SOS-Racisme n'est pas un mouvement aussi apolitique que ses fondateurs l'ont prétendu, le grand public ne l'apprendra que progressivement. On verra toutefois se multiplier les mises en cause de la « politisation» de l'association, en particulier dans la presse « de droite » et à partir de 1987 il sera beaucoup plus difficile à SOS de jouer d'une attitude politique floue et incertaine ou de continuer à maintenir l'image d'un mouvement apolitique. Cette identification politique croissante de l'association à « la gauche » va progressivement affecter son image publique et, après les élections présidentielles de 1988, faire chuter sa popularité.
      Pour l'association, l'année 1987 sera marquée par le passage, le 19 août, de Harlem Désir à l'émission politique « l'Heure de Vérité » animée par François-Henri de Virieu. L'émission a été soigneusement préparée dans son contenu et dans sa forme avec l'aide des membres de « brain-potes »[67]  et sans doute d'une entreprise de conseil en communication[68] . Elle sera l'occasion pour la direction de SOS de préciser et de formaliser un discours qui, en dehors de quelques interviews et de quelques tribunes dans la presse, n'avait pas été développé depuis la parution du premier livre d'Harlem Désir en octobre 1985. L'ensemble des journaux avait annoncé l'émission et souligné son importance pour une association qui apparaissait alors à la recherche d'un second souffle après les succès de 1985 et la lente retombée du phénomène de mode. Harlem Désir surprit ceux qui attendaient une stricte défense des immigrés et un antiracisme purement moral, proche des thèmes qui avaient été ceux de l'association depuis 1985, en tenant un discours beaucoup plus « social » que « moral » , centré sur les conditions économiques et urbaines qui entraîneraient les « tensions racistes » . En insistant sur les « devoirs » des immigrés et sur les concessions que chacun devait faire pour améliorer les relations intercommunautaires, il apparut beaucoup plus modéré que ne le supposaient ceux qui critiquaient l'association ou qui commençaient à contester son action. De surcroît, il avait semblé parfaitement maîtriser la technique d'expression télévisuelle, apparaissant toujours très calme, jamais pris au dépourvu, posant toujours bien sa voix et son argumentation. Il enregistre le plus fort « taux de satisfaction » (70 %) exprimé sur Minitel par un panel de quelques centaines de téléspectateurs depuis l'apparition de ce type de « sondage » à « l'Heure de vérité » .
      Le lendemain, les commentaires de la presse sont généralement élogieux[69] . La plupart des journalistes soulignent le caractère raisonnable et le bon sens des propositions d'Harlem Désir : lutte contre l'immigration clandestine mais sans considérer les clandestins comme des criminels et en leur donnant une possibilité de recours devant un tribunal, effort pour l'intégration des immigrés en situation régulière et surtout de leurs enfants, traitement social du racisme qui se nourrit de la misère, du chômage et de la dégradation des conditions de vie des banlieues. Le succès de l'émission sera prolongé par un livre, « SOS désirs » , qui reprendra les thèses développées à « l'Heure de Vérité »[70] . Cette transformation du discours public de l'association sera d'abord bien accueillie et apparaîtra comme un recentrage, comme une atténuation de thèmes plus radicaux (le métissage, la société multiculturelle, voire le « droit à la différence » ). Pourtant ce changement de discours va conduire l'association à demander l'application de propositions beaucoup plus précises qu'auparavant et va donc l'amener à intervenir dans le débat politique non plus seulement sur la question de l'opposition au Front national mais aussi sur la politique générale du gouvernement.
      La principale campagne de SOS-Racisme en 1987 est la lutte contre la réforme du code de la nationalité qui, du fait de l'affaiblissement du gouvernement après le mouvement étudiant, s'avérera moins difficile que prévu. SOS-Racisme s'engage contre la réforme du code avec la plupart des associations antiracistes et des organisations « de gauche » . Dès la fin du mouvement de décembre, les responsables étudiants de Villetaneuse avaient essayé d'engager une mobilisation contre le code de la nationalité[71] . Il s'était cependant révélé difficile de maintenir mobilisée la population étudiante en changeant aussi radicalement l'objet de la mobilisation. L'action contre la réforme du code aboutira à une manifestation unitaire rassemblant environ 30.000 personnes, le 15 mars 1987, soutenue par un collectif comprenant l'ensemble des associations antiracistes dont SOS se présente comme l'élément moteur. C'est la première fois que SOS-Racisme organise une manifestation de forme traditionnelle, qui ne soit pas suivie ou précédée d'un concert. Ce retour à des formes plus classiques de mobilisation correspond à la fois au manque de moyens de l'association et à une volonté d'insertion dans le milieu antiraciste, une normalisation des moyens d'action pour ne pas être accusé d'être un simple organisateur de divertissements musicaux. Bien que cette manifestation ait un peu déçu des organisateurs et des observateurs que les grandes manifestations de décembre avaient habitués à des foules plus impressionnantes, le gouvernement qui craignait une montée progressive des mouvements sociaux attisés par les partis, les syndicats et l'ensemble des organisations « de gauche » , préféra ajourner le vote du nouveau code et désigner une « Commission de la Nationalité » pour abandonner le projet de réforme sans paraître reculer totalement devant les manifestations. Harlem Désir sera entendu le 13 octobre 1987 par la commission et plaidera pour un maintien du jus soli et contre toute réforme du code de la nationalité.
      L'association s'engage dans une opposition de plus en plus marquée envers la majorité parlementaire et son action tend à s'organiser en fonction de l'échéance des élections présidentielles de 1988. L'objectif des responsables de l'association est de favoriser la défaite de Jacques Chirac et l'élection du candidat de la gauche. Cet objectif n'est évidemment pas clairement exprimé. Mais on ne pourrait comprendre l'attitude des militants des différentes branches de la mouvance de SOS-Racisme si on ne considérait pas que le point commun des différentes initiatives de l'association entre 1986 et 1988 est de critiquer, de mettre en cause et de mobiliser contre la politique du gouvernement de Jacques Chirac. SOS-Racisme intervient donc sur toutes les « affaires » où sont impliqués des policiers pour en faire des « bavures » et des « crimes racistes » , il met en cause la réforme du code de la nationalité, et sa branche étudiante s'engage dans la campagne contre la réforme des universités.

Pour prolonger l'effet politique des manifestations de décembre 1986, SOS-Racisme va organiser conjointement avec l'Unef-Id, un an après la mort de Malik Oussekine et cinq mois avant les élections présidentielles, une manifestation « contre le racisme et la xénophobie, pour l'intégration et l'égalité des droits et pour la défense des valeurs démocratiques » . L'objectif était de mettre en cause le gouvernement dans le domaine des libertés publiques et du racisme, mais aussi de rappeler qu'un an avant « toute la jeunesse » défilait contre le projet Devaquet. Les responsables de SOS ne veulent pas faire directement apparaître l'enjeu politique de la manifestation. Si les responsables et les observateurs politiques savent que SOS-Racisme est une organisation « de gauche » , l'image publique de l'association, celle à laquelle adhèrent les nouveaux militants et celle qui donne leur poids aux mobilisations qu'elle organise n'est pas encore aussi marquée à « gauche » . L'association ne tient pas à affaiblir l'effet de ses initiatives en s'affichant de trop près avec le Parti socialiste. Aussi, lorsque Jean-Christophe Cambadélis et la direction de l'Unef-Id avec le « bureau national du PS au grand complet»[72]  font publier dans le Monde un texte commun d'appel à la manifestation, une polémique s'engage avec les responsables de SOS-Racisme qui reprochent à l'Unef-Id de permettre au Parti socialiste de tenter de « récupérer » la manifestation[73] . Celle-ci verra donc la présence de Lionel Jospin, Michel Rocard, Paul Quilès, Jack Lang et Jean-Pierre Chevènement et on pourra lire quelques badges affirmant « Tonton, tiens bon, nous arrivons »[74] . Cette manifestation n'a toutefois pas rencontré un écho très positif dans la presse qui l'a comparée à celles de l'année précédente[75]  pour constater que la jeunesse était moins mobilisée qu'elle ne l'avait été et ses organisateurs plus divisés. Moins bien annoncée que d'autres initiatives de SOS-Racisme, ayant bénéficié de réactions après l'événement plus réduites, la manifestation du 29 novembre a en partie contribué à associer l'image de l'association à celle du Parti socialiste. L'échec relatif de la manifestation a en outre commencé à jeter un doute sur les capacités de mobilisation de l'association. Alors que précédemment tous les rassemblements pour lesquels s'était engagé SOS-Racisme avaient rassemblé plus de 50.000 personnes, la manifestation du 29 novembre réunit un public beaucoup plus restreint et probablement limité à la frange la plus militante. C'est la première fois que l'association ne va pas au delà du public « politisé » , à la fois dans l'objet et les slogans de la manifestation et dans la forme de mobilisation proposée : il s'agit d'une manifestation antiraciste et politique « ordinaire » alors que SOS parvenait auparavant à rassembler un public qui n'était pas concerné par l'antiracisme et le militantisme. Rétrospectivement, on peut faire du passage d'Harlem Désir à « l'Heure de Vérité » l'apogée du mouvement et de la manifestation du 29 novembre le début de son déclin, marqué par une liaison croissante de l'image de SOS-Racisme avec celle du Parti socialiste et de François Mitterrand et par une baisse progressive de l'audience de l'association.

À partir de 1987, SOS-Racisme ne constitue probablement plus la principale préoccupation de ceux qui, autour de Julien Dray, ont fondé l'association. En effet, leur effort principal se porte alors vers le Parti socialiste. Après le mouvement étudiant de décembre 1986 Isabelle Thomas est entrée au comité directeur du Parti socialiste. Cette position permet à Julien Dray et au groupe fondateur de SOS-Racisme de présenter une contribution au congrès de Lille en avril 1987, de se rendre visibles à l'intérieur du parti et de commencer à nouer des contacts dans les fédérations. Parallèlement, Julien Dray essaye de s'enraciner dans le Parti socialiste en devenant majoritaire dans la section rocardienne de Tony Dreyfus dans le 10ème arrondissement où se trouve le siège de l'association. Cette tentative échouera tant est grand le verrouillage des sections parisiennes du parti, produit par la lutte entre le CERES et le courant mitterrandiste pour le contrôle de la fédération de Paris[76]  et par la prise de contrôle de sections par des ministres et des responsables du parti trouvant plus pratique d'avoir leur section dans la capitale[77] . Cette petite bataille laissera des traces, en révélant l'ambition de Julien Dray de créer une tendance au sein du Parti socialiste et cristallisant les oppositions politiques entre le principal courant de la « droite du parti » et le nouveau groupe qui se conçoit à sa « gauche » . Ces oppositions réapparaîtront lorsque Michel Rocard deviendra premier Ministre.
      Mais au début de 1988, le principal objectif des différents courants du Parti socialiste et des organisations « de gauche » est l'élection présidentielle. SOS-Racisme va participer de plusieurs façons à la campagne. L'association poursuit son harcèlement contre la politique de l'immigration du gouvernement. En janvier, lors de la remise du rapport de la Commission de la Nationalité, SOS-Racisme est l'une des seules organisations antiracistes à condamner radicalement les conclusions de la commission[78]  qui préconisait la fin de l'acquisition automatique de la nationalité française pour un jeune né en France, remplacée par une « manifestation de la volonté » pour l'obtenir et la possibilité de refuser la nationalité française aux auteurs de certains délits, dispositions qui, selon SOS-Racisme, entérinaient « la possibilité d'expulser, à partir de dix-huit ans, des jeunes nés en France et n'ayant jamais vécu dans un autre pays »[79] . Sentant SOS-Racisme un peu isolé dans son opposition au rapport de la Commission de la Nationalité généralement perçu comme très en deçà des propositions contenues dans la plate-forme UDF-RPR de 1986, les responsables de l'association vont organiser le 28 Janvier un colloque sur la réforme du code de la nationalité où les projets gouvernementaux seront critiqués par des spécialistes du droit et de l'immigration[80] .
      L'association ne prendra pas officiellement position pour la candidature de François Mitterrand lors de son deuxième congrès, tenu à Noisiel du 2 au 4 avril 1988, à quelques semaines des élections, pour pouvoir, selon Julien Dray, « peser sur les présidentielles »[81] . Une forte minorité[82] , organisée autour de Kaïssa Titous et surtout des militants de la Ligue Communiste Révolutionnaire soutient au premier tour la candidature de Pierre Juquin, dont Kaïssa Titous est la directrice de campagne. Pour que le mouvement n'apparaisse pas divisé, aucune consigne de vote n'est officiellement donnée, mais la critique que plusieurs orateurs font de la politique du gouvernement de Jacques Chirac laisse apparaître que le « bon choix » de SOS-Racisme doit se faire parmi les candidats « de gauche » au premier tour et pour le candidat socialiste au second. Le congrès de Noisiel verra aussi s'affronter Kaïssa Titous et la direction de l'association sur la « question du Proche-Orient » : SOS-Racisme doit-il prendre officiellement position dans le conflit israélo-arabe ? Julien Dray et les membres fondateurs de l'association ne veulent se couper ni des beurs de l'association ni des militants juifs et de l'UEJF. Jusqu'à présent SOS-Racisme s'en était tenu à une position neutre exprimée par le slogan « on ne résout pas les problèmes du Jourdain sur les bords de la Seine » . Mais durant le congrès, Kaïssa Titous voudrait que l'association prenne une position officielle plus nette. Elle s'oppose à Eric Ghébali, secrétaire général de SOS et ancien président de l'UEJF, qui ne veut pas d'une motion condamnant la politique d'Israël ou demandant son retrait des territoires occupés. Après plusieurs heures de discussions un texte est voté qui indique que l'association exprime sa « solidarité avec les victimes de la répression dans les territoires occupés » et que « chacun des deux peuples doit se voir reconnaître le droit à l'existence » . Ce « texte de compromis » est lu par téléphone à Arie Bensemhoun, président en exercice de l'UEJF dont l'organisation n'avait pas voulu être présente au congrès, pour qu'il donne son accord. La question des « relations israélo-arabes » est récurrente à SOS puisqu'elle avait déjà animé les débats du congrès d'Epinay-sur-Seine en 1986. Ce thème a probablement été soulevé par Kaïssa Titous, vice-présidente de l'association, pour des raisons tactiques. Cette question est en effet la seule qui, au sein de SOS, peut rassembler les « beurs » en tant que tels et créer un clivage sur une base communautaire. Ni le contenu du programme, ni l'analyse de la situation dans les banlieues, ni le thème de l'identité culturelle, religieuse ou raciale ne sont susceptibles de produire dans l'association un clivage entre les « beurs » et les « autres » . Insister sur la position de l'association sur les « territoires occupés » était donc une façon pour Kaïssa Titous de tenter de constituer une « faction beur » à l'intérieur de SOS-Racisme. Bien évidemment, les fondateurs de l'association ont toujours essayé de refuser cette logique qui les faisait apparaître comme moins représentatifs des « beurs » et, dans leur propre mouvement, comme « de droite» par rapport à des positions plus « radicales » .
      Le congrès va voter un « programme » en six points qui sera adressé à tous les candidats à l'élection présidentielle « sauf Jean-Marie Le Pen »[83] . Ce programme sera pour SOS-Racisme une façon de prendre position dans la campagne sans paraître être trop partisan : de tous les candidats seul Jacques Chirac n'aurait pas répondu [84] ; cela permettra à l'association de déclarer que deux projets de société s'opposent en 1988, « une démocratie de l'exclusion » , sur le « modèle américain » et une «  démocratie de l'intégration » de tous les « exclus du système »[85] . Il n'est alors pas difficile de mettre un nom sur chacun de ces deux « modèles » .
      Si, durant le congrès de Noisiel, SOS-Racisme n'a pas explicitement soutenu le candidat du Parti socialiste, la direction de l'association va par la suite bien plus s'engager dans la campagne en participant à l'opération de mobilisation des jeunes en faveur de la réélection de François Mitterrand appelée « pour nous, c'est lui » , organisée notamment par le sénateur de l'Essonne, Jean-Luc Mélenchon : location d'espaces publicitaires dans les journaux, affiches, appels d'artistes et meetings de soutien rassemblant des jeunes. François Mitterrand est invité à participer à « la semaine de l'éducation contre le racisme » , initiative annuelle de l'association qui, subventionnée pour cela par le Ministère de l'éducation nationale, envoie ses militants faire des animations sur le thème du racisme dans les collèges et les lycées. Le président, dûment accompagné par des journalistes et une équipe de télévision visitera une école et répondra aux questions que lui poseront les élèves sur le racisme et la politique. D'autre part, l'appareil de SOS-Racisme organise le 12 mars sur la pelouse de Reuilly, « le Grand Rancard » , sorte de concert-meeting électoral qui, soutenu par Libération qui fait sa une et plusieurs pages de dossier sur l'événement, rassemble entre 10 et 20.000 personnes. Sans prendre encore trop explicitement parti pour le président sortant qui n'a pas encore déclaré sa candidature, les intervenants font une critique si virulente de la politique du gouvernement de Jacques Chirac qu'aucun doute ne subsiste sur l'attitude à adopter lors des prochaines élections. Enfin, Harlem Désir et Isabelle Thomas organisent et animent le meeting-concert des « jeunes pour l'égalité » du 30 avril, à quelques jours du second tour qui rassemble autour de François Mitterrand et de nombreuses vedettes du show-business entre 15 et 35.000 personnes. L'association colle également une série d'affiches portant pour slogan « nos voix sont à qui veut les entendre » , puis, plus près de l'élection, une affiche détournant la publicité pour une eau minérale et représentant Le Pen se cachant derrière le masque de Jacques Chirac avec pour légende « votez, éliminez »[86] .
      Les prises de position de SOS dans la campagne présidentielle vont attacher pendant plusieurs années l'image de SOS à celle de François Mitterrand et du Parti socialiste, ce qui pèsera sur la capacité de mobilisation et la crédibilité de l'association quand ceux-ci seront devenus impopulaires. Si pour le grand public le lien n'est sans doute pas encore établi entre SOS-Racisme et le Parti socialiste, pour les journalistes et la classe politique l'association est considérée comme un outil des stratégies de Julien Dray et des socialistes, c'est-à-dire comme hétéronome et soumise à d'autres logiques que celles de l'antiracisme. À partir de 1988, SOS-Racisme se voit consacrer moins d'articles et ceux-ci sont plus fréquemment critiques comme si une suspicion pesait sur les activités de l'association, décourageant les journalistes d'écrire sur SOS ou les conduisant à introduire dans leurs articles des réserves ou des critiques qu'ils ne faisaient pas auparavant. De plus, les reportages télévisés se raréfient puisque l'association, soupçonnée d'être « politisée » ne peut plus entrer comme auparavant dans les rubriques « cause humanitaire» , « mouvement d'intérêt général » ou « les jeunes sont formidables » . L'image de SOS, mouvement « proche des socialistes » , (version de la presse « de gauche » ), ou « instrument politique du PS » (version de la presse « de droite » ) va alors se diffuser après l'élection présidentielle, portée par les journalistes et les adversaires de l'association.

De l'élection présidentielle à « l'affaire des foulards »
De juin 88 à octobre 1989.

Après la réélection de François Mitterrand, la situation de SOS-Racisme se transforme profondément. L'engagement de l'association aux côtés de François Mitterrand et du Parti socialiste tend à donner à SOS une image ouvertement gouvernementale[87] . La participation à la campagne socialiste, si elle avait paru naturelle et profitable dans un contexte où les actions du gouvernement étaient largement critiquées (« bavures » , projet Devaquet, lois Pasqua, intervention dans la grotte d'Ouvéa), devient vite un handicap lorsque le Parti socialiste est de nouveau au pouvoir, c'est-à-dire en position de décevoir et d'être attaqué. L'association qui s'était structurée comme une organisation d'opposition et de protestation et qui avait développé à partir de 1987 un discours sur les conditions sociales de l'intégration, se trouve rapidement conduite à critiquer un gouvernement qu'elle assure avoir contribué à mettre en place. Les discours et l'effort programmatique que SOS avait déployé durant la cohabitation pour mettre en évidence ce que ses dirigeants appelaient « l'idéologie sécuritaire » et les « insuffisances du gouvernement en matière d'intégration » vont obliger l'association, pour des raisons de cohérence interne vis-à-vis des militants mais aussi de cohérence externe par rapport aux journalistes, aux autres associations antiracistes et à la « base des quartiers » , à juger l'action de Michel Rocard puis, au bout de quelques mois, à critiquer les « insuffisances du gouvernement en matière d'intégration » .
       Pour la première fois, l'association va être conduite à s'opposer à un gouvernement de gauche, alors qu'elle est maintenant assimilée dans l'esprit de beaucoup au Parti socialiste et qu'elle reçoit la quasi-totalité de son financement du gouvernement et de mécènes qui lui sont proches. Elle va donc devenir une gêne pour le gouvernement de Michel Rocard sans parvenir à échapper à son image d'organisation proche du PS. Que Julien Dray ait été élu député en juin 1988 dans une circonscription « confortable» de l'Essonne où il avait été « parachuté[88] » tandis qu'Isabelle Thomas, dans une circonscription plus difficile de la banlieue parisienne, a été battue, ne va pas contribuer à dissiper l'image « politique » de l'association. Julien Dray quitte alors la vice-présidence de l'association pour orienter son action vers le Parti socialiste et la construction de sa tendance, « Question Socialiste » , qui deviendra la « Nouvelle Ecole Socialiste » après la fusion avec le groupe animé par le sénateur de l'Essonne Jean-Luc Mélenchon puis la « Gauche Socialiste » après l'adhésion de Marie-Noëlle Lienemann.
      Harlem Désir, pressenti par Michel Rocard pour un poste de secrétaire d'Etat à « la Jeunesse » ou à « l'intégration » , le refuse, en partie par crainte de manquer de moyens et d'attacher l'image de SOS-Racisme à une politique dont la réussite paraît aléatoire à court terme. Le premier ministre propose alors ce secrétariat d'Etat à Julien Dray qui l'accepte. Mais quelques heures plus tard, Julien Dray n'est plus sur la liste des ministres et secrétaires d'Etat lue sur le perron de l'Elysée : certains membres du Parti socialiste auraient fait pression pour qu'il reste député[89] . Il semble probable que la constitution de la Nouvelle Ecole Socialiste au sein du Parti socialiste à partir notamment des réseaux de SOS-Racisme, de l'Unef-Id tendance Villetaneuse et du MJS de la région parisienne ait irrité les responsables d'autres courants du parti[90] . SOS-Racisme va donc passer, pour certains dirigeants du parti, du statut de sympathique groupe de jeunes qui peut être utile et qu'il faut aider, à celui d'agitateurs embarrassants dont les initiatives doivent être surveillées, et cela d'autant plus facilement que les échéances électorales sont plus lointaines et le besoin d'une organisation de mobilisation sur le thème du racisme moins urgent.
      D'ailleurs, le Parti socialiste n'était pas le seul investissement politique concevable pour les dirigeants de l'association qui avaient envisagé de présenter une liste SOS-Racisme aux élections législatives de 1986[91]  puis aux élections européennes de 1989[92] . Les réactions hostiles de François Mitterrand et du Parti socialiste les en avaient dissuadés. Il est vraisemblable que la volonté de Julien Dray de jouer à la fois à l'intérieur du Parti socialiste et en dehors de lui, dans des mouvements sociaux ou électoralement sous leur propre drapeau, sous celui des verts ou celui de Bernard Tapie[93]  ait suscité, à l'intérieur du Parti socialiste, de solides inimitiés envers SOS, perçu comme une organisation peu sûre, « gauchiste » et ne jouant pas selon les règles admises. La stratégie de Julien Dray et de Jean-Luc Mélenchon au sein du PS était de faire pression à la gauche du parti pour éviter à celui-ci les tentations de « dérives droitières » à l'exemple de Marceau Pivert et du CERES. Parmi les cibles de la démarche « néo-pivertiste » de Julien Dray et de la Nouvelle Ecole Socialiste figurait en particulier la « droite » du parti, le courant rocardien.

Les relations entre le gouvernement de Michel Rocard et la mouvance de SOS-Racisme vont être assez mouvementées et seront marquées par deux mouvements de mobilisation importants, celui des infirmières et celui des lycéens. Dès le mois de juin 1988, Harlem Désir indique dans une série d'interviews[94]  ce que l'association attend du nouveau gouvernement : l'abrogation rapide de la loi Pasqua et une énergique politique de la ville pour combattre la constitution progressive de « ghettos » . Il s'agit de la reformulation du programme qui a été adopté en avril au congrès de Noisiel. Harlem Désir attaquera publiquement ce qu'il appellera « l'immobilisme du gouvernement » dès le mois de novembre 1988[95] , constatant que la loi Pasqua de 1986 n'a toujours pas été abrogée, que le comportement de la police ne s'est pas modifié et que la « politique de la ville » ne semble pas être, selon lui, une priorité du nouveau budget. SOS-Racisme mettra constamment en cause la politique sociale de Michel Rocard entre 1988 et 1991, en particulier son plan d'aménagement de la région Ile-de-France, publié au début de 1990 et qu'Harlem Désir critiquera dans une tribune du Monde[96] .
      Entre septembre et octobre 1988 se déroule le mouvement des infirmières. SOS-Racisme n'est pas directement impliqué dans cette mobilisation. Mais plusieurs leaders de la grève, dont la principale porte-parole, appartiennent à la Gauche Socialiste. Il faut relativiser l'importance de Julien Dray dans ce mouvement : il n'a pas les moyens de « contrôler » la grève, il n'impose pas les revendications, il ne l'a pas déclenchée, et il n'a pas les moyens de l'arrêter. Toutefois, il apparaît au yeux de certains journalistes et de l'Hôtel Matignon comme ayant une certaine influence sur le mouvement[97] , impression que, comme lors du mouvement étudiant de 1986, Julien Dray ne cherchera pas à dissiper, soulignant au contraire auprès de ses interlocuteurs l'importance de son rôle dans la mobilisation des infirmières. Michel Rocard et ses collaborateurs lui en garderont une rancune tenace ainsi qu'à Jean-Luc Mélenchon, réputé avoir exercé une « influence » semblable dans la grève de la RATP du 10 au 26 octobre. Plus profonde sera l'intervention de SOS-Racisme, par l'intermédiaire de ses militants les plus jeunes, regroupés dans la FIDL, dans les grèves lycéennes en décembre 1990.
      Après mai 1988, l'association retrouve un militantisme plus routinier. Les prochaines élections nationales sont lointaines où l'association pourrait avoir à se prononcer et à jouer un rôle de mobilisation. Un gouvernement de gauche est au pouvoir et il est probablement difficile de mobiliser les militants et les soutiens habituels de l'association contre un gouvernement « de gauche » , dirigé par un premier ministre assez populaire, dont la ligne politique est soutenue par la plupart des rédactions de la presse « de gauche » . SOS reprend donc ses activités habituelles, tout en maintenant dans son discours l'inflexion sociale et critique qui le caractérise depuis 1987.
      Le concert de 1988 se déroule à la fois à Paris, à Dakar et à New-York, pour symboliser le triangle de la traite des esclaves. Si les concerts américains et africains sont moins réussies que la fête à Vincennes qui réunit selon la presse entre 200 et 300.000 personnes, l'association montre qu'elle est encore capable de rassembler sur son nom des dizaines de milliers de personnes pour un concert[98] . Les animateurs laissent une certaine part aux discours politiques et aux déclarations de responsables municipaux pour montrer que la foule ne vient pas seulement pour écouter un concert gratuit. L'année suivante le concert de Vincennes réunira à nouveau 300.000 personnes[99] . Pourtant la couverture de presse du concert diminue chaque année.
      L'association poursuit également ses campagnes contre les crimes racistes et les bavures[100] . Lors de la mort de Hocene Benhadjarmor le 10 mai à Nice, SOS organise une manifestation devant Matignon où une délégation est reçue puis une manifestation à Nice rassemblant un millier de personnes. Après la mort d'Ali Rafat, SOS réunit une manifestation de protestation à Reims. Mais, là encore, la presse ne suit plus l'association autant que lors des « crimes racistes » de 1985 ou lors des bavures de 1986, et le nombre d'articles consacrés aux crimes racistes ou aux manifestations de protestation est bien inférieur à ce qu'il était quelques années auparavant. Par ailleurs SOS lance en octobre 1988 une campagne de pétition et de réunions publiques appelée « 89 pour l'égalité » pour revendiquer le droit de vote des étrangers aux élections locales. Si la pétition a un certain succès (environ 50.000 signatures en un mois), le caractère discret et peu spectaculaire de la campagne induit très peu d'articles dans la presse et touche essentiellement ceux qui ont été en contact avec la pétition.
      L'année suivante SOS organise un tour de France en car qui parcourt une trentaines de ville et tente d'établir le contact avec la « jeunesse des banlieues » pour essayer de dialoguer et de la mobiliser. Animent le voyage les militants les plus proches de la base (Fodé Sylla, Pierre N'dho, Toufik[101] ), les plus aptes à établir un contact avec la population « issue de l'immigration » , les moins susceptibles d'être disqualifiés par leur origine sociale ou ethnique. Pourtant les représentants de SOS ne sont pas toujours bien accueillis et s'aperçoivent qu'il est devenu très difficile de mobiliser la nouvelle génération de « jeunes issus de l'immigration » , pas forcément encouragée à l'action collective par ce qu'elle perçoit des résultats des marches de 1983 et de 1984. Ce « tour de France » montre aux animateurs de SOS-Racisme que le discours antiraciste classique de l'association passe plus difficilement dans les banlieues auprès de la population « beur » qui n'hésite pas à critiquer ceux qui sont ordinairement perçus comme leur représentants ou leurs défenseurs. Les « jeunes issus de l'immigration » tiennent devant les représentants de SOS un discours spontanément radical contre le gouvernement, les partis politiques, les médias et les institutions en général. Ils en tirent la conclusion que si l'association ne veut pas devenir inaudible dans les banlieues elle devra radicaliser son discours. Le « tour de France » de SOS s'achève le 9 décembre 1989 par un concert aux Arcs-sur-Argens dans le Var qui rassemble environ 8.000 personnes.
      L'association amorce donc à partir de 1988 une transformation sensible de son mode de justification public. Alors qu'auparavant la principale légitimité de SOS-Racisme était le soutien de « l'opinion » , les jeunes qui portaient les badges et la foule duconcert[102] , l'association tend alors à développer des actions et des activités « de terrain» , c'est-à-dire à justifier son droit de parler de « la question du racisme » ou du « problème des immigrés » non plus seulement ou principalement par les campagnes de mobilisation nationale qu'elle organise mais surtout par les « actions concrètes » qu'elle mène dans ses comités locaux autour du logement et de la constitution de ghettos, de l'échec scolaire, des discriminations à l'embauche ou à l'entrée des lieux publics. SOS-Racisme tend à se rapprocher de l'activité des associations « beurs » ou des associations antiracistes plus anciennes organisées autour de « l'aide aux immigrés » plus qu'autour de campagnes d'opinion. Cette évolution de l'association se fait parallèlement à l'apparition de critiques exprimées contre l'association et de doutes sur sa représentativité dans les banlieues et auprès de la population « beur »[103] .
      Cette évolution des modes d'intervention de l'association a aussi pour origine la baisse de ses ressources financières. Entre 1985 et 1988, l'association avait vécu des recettes des ventes de badges et des subventions publiques ou des dons privés qui lui étaient accordés en partie pour des raisons politiques et électorales. Il s'agissait pour François Mitterrand et le gouvernement de mobiliser la jeunesse autour de thèmes traditionnels de « la gauche » et d'avoir un « mouvement de masse » dirigé par des amis politiques, dans la perspective de la cohabitation et des élections présidentielles. Après 1988, les nécessités politiques et électorales deviennent moins pressantes et Michel Rocard n'est pas un partisan de l'association. Les subventions accordées à SOS se font moins importantes et plus irrégulières, jusqu'à être pour une large part dépensées en agios bancaires dus à la nécessité d'assurer le fonctionnement continu de l'organisation. Ce manque de moyens qui entraînera à partir de 1994 l'abandon du concert annuel de l'association, commence, entre 1988 et 1990 par peser sur toutes les initiatives de SOS. Alors que les permanents ne sont pas toujours déclarés ni payés régulièrement, l'association n'a pas les moyens d'organiser des manifestations, des concerts ou des initiatives aussi spectaculaires qu'en 1985. Cette plus faible capacité à innover et à faire le spectacle en matière de mobilisation se paye aussi par un écho moindre dans les médias et par la plus faible fréquentation des manifestations organisées par l'association. Si l'association se replie vers un militantisme plus traditionnel et plus « proche du terrain » c'est aussi parce qu'elle n'a plus les moyens financiers de dépasser le cadre limité du militantisme pour créer des événements qui ne peuvent pas être atteints par la simple action militante.
      Ce retour vers le « terrain» , qui est plus un abandon forcé de la « scène médiatique »[104] , s'accompagne d'une attention accrue envers les actions des comités locaux de l'association. Pour homogénéiser les discours et les interventions de chaque comité de SOS-Racisme, les responsables de l'association vont organiser une université d'été annuelle, dont la première se tiendra les 23 et 24 juillet 1988 à Dourdan. Ces journées permettront de former les militants les plus motivés et de développer un discours plus politique mais aussi plus radical en matière de logement, d'échec scolaire, de relations entre les jeunes et la police ou de politique de la ville. L'ensemble de l'association se rapproche alors des thèmes que développaient les comités de SOS majoritairement formés de membres de la LCR, discours plus radical que Julien Dray et les responsables de l'association avaient évité de développer depuis la création de l'association.
      Cette évolution des thèmes de l'association va permettre à partir de 1988 un rapprochement avec les autres associations antiracistes qui critiquaient jusqu'à présent les orientations de l'association. Alors que jusqu'en 1989, SOS-Racisme menait généralement des actions autonomes, les initiatives de l'association vont de plus en plus souvent êtres organisées conjointement avec d'autres associations dans le cadre de collectifs antiracistes, à l'échelon local ou national, coopération qui aboutira à l'organisation des manifestations antiracistes organisées chaque année à partir du 25 janvier 1992. Les actions de mobilisation menées par des collectifs permettent à chaque organisation de dépasser le strict cadre de ses propres forces pour rassembler bien au delà de ce que chaque association aurait pu faire indépendamment. Elles présentent aussi l'avantage de montrer l'unité de l'ensemble des associations antiracistes. Toutefois une manifestation organisée par un collectif unitaire apparaît pour les journalistes organisée par aucune organisation en particulier. SOS-Racisme, en participant activement à des mobilisations unitaires, obtient donc beaucoup moins d'articles de presse qu'auparavant. Cependant, jusqu'en 1989 l'image publique de SOS reste encore relativement bonne et les positions de l'association ne sont que rarement publiquement critiquées, peut-être parce qu'il est difficile, en particulier pour les hommes politiques ou les journaux « de gauche » de paraître attaquer une association antiraciste. SOS-Racisme ne va être directement mis en cause qu'à partir de l'affaire des foulards de Creil qui va rendre l'association critiquable pour les acteurs politiques « de gauche » .
      Les premiers articles sur l'affaire sortent au début d'octobre 1989, quelques jours avant une réunion du Conseil National de SOS-Racisme. Celui-ci prend alors une position qui réunit un large consensus dans l'association et que chacun estime alors à la fois raisonnable et assez anodine : refus de l'exclusion des élèves, avec pour argument que l'école publique est plus intégratrice, même avec des foulards, qu'une école privée n'accueillant que des musulmans. Les responsables de l'association n'avaient pas prévu que le débat prendrait une telle ampleur et focaliserait les intérêts d'autant d'hommes politiques, de journalistes et d'intellectuels ni que la tonalité générale du débat dans la presse serait nettement contre le port du foulard et la position de SOS. Alors que les arguments de SOS indiquaient que le but à atteindre était l'intégration par l'école des « immigrés de deuxième génération » et relevaient donc d'un souci réaliste de l'éducation « laïque et républicaine » de l'ensemble des élèves, l'association est apparue comme défendant plus ou moins le « droit à la différence » des immigrés. Certaines rédactions (en particulier celle du Nouvel Observateur) et certains intellectuels (comme Alain Finkielkraut) que les positions de SOS-Racisme et de Julien Dray irritaient mais qui ne trouvaient pas d'angle d'attaque contre l'association ont saisi cette occasion pour la mettre en cause. Le « droit à la différence » , accusé de constituer le fondement idéologique de l'association va devenir avec le « manque de représentativité » le principal reproche adressé à l'association par les journaux et les hommes politiques « de gauche » qui peuvent, plus difficilement que les journaux « de droite » , critiquer sa « politisation » et son manque d'indépendance par rapport au gouvernement. C'était la première fois que SOS prenait une position minoritaire dans l'opinion et dans la presse. C'était aussi la première fois que la presse « de gauche » dans son ensemble critiquait ouvertement SOS-Racisme. L'affaire des foulards marque le début d'une période difficile pour SOS puisqu'il devient légitime et même à la mode dans la presse « de gauche » , auparavant principal soutien de l'association, de critiquer l'action et les idées défendues par SOS-Racisme. Cette hostilité nouvelle va entraîner la baisse des effectifs militants et affaiblir la capacité de mobilisation de l'association.

Des foulards à la Guerre du Golfe.
De novembre 1989 à février 1991.

Cette période est donc marquée par des difficultés à la fois financières et politiques. Si, depuis la réélection de François Mitterrand, les subventions gouvernementales sont redevenues plus abondantes, elles n'ont jamais retrouvé leur niveau d'avant 1986 et parviennent avec retard à l'association. La direction de SOS-Racisme hésite sur l'attitude à adopter à l'égard du nouveau gouvernement. Le premier ministre a employé, dans son discours d'investiture, le mot utilisé par Harlem Désir à « l'Heure de Vérité » : « il faut repeindre les cages d'escalier et réparer les boîtes aux lettres » , et semble donc s'occuper des banlieues et répondre aux revendications de l'association. Pourtant, à court terme, SOS-Racisme et les « jeunes des cités » ne trouvent pas que les choses évoluent assez vite en banlieue. SOS-Racisme est donc placé en porte-à-faux entre sa « base » dans les banlieues et le gouvernement qui le subventionne. Pourtant, en 1988, il est difficile à SOS de manifester publiquement et spectaculairement son désaveu car l'association n'a pas les forces militantes pour mobiliser, même localement, contre un gouvernement « de gauche » comme peut le faire la C.G.T. ou le Parti Communiste et doit donc, en dehors de mouvements de revendication spécifiques (conflit des infirmières) se contenter de déclarations à la presse. Celles-ci sont moins bien accueillies que les communiqués critiquant le Front National en 1985. Les médias « de gauche » , longtemps assez favorables au gouvernement de Michel Rocard, considèrent que le discours d'opposition de SOS-Racisme provient plus de la frustration ministérielle de Julien Dray et de son engagement mitterrandien que d'une analyse fondée de la situation dans les banlieues et ne relayent plus autant les campagnes de l'association. De plus, SOS n'est plus très bien accueilli dans certaines banlieues quand, à la suite d'un crime raciste ou d'une émeute, des envoyés de l'association accourent pour parler de l'affaire avec les habitants et devant les journalistes. Les journaux commencent à rapporter certaines réactions de rejet des « jeunes beurs » devant des gens qu'on accuse d'avoir beaucoup promis et de n'être visibles, tels des « charognards » , que lorsqu'il y a un mort dans la cité. Lors des événements de Vaulx-en-Velin les 6 et 7 octobre 1990 où des « jeunes de la cité » mettent à sac le centre commercial après que la tentative d'arrestation par la police d'un motard, Thomas Claudio, ait abouti à sa mort, une délégation de SOS-Racisme venue sur place est dans un premier temps violemment rejetée par les jeunes du quartier avant de pouvoir établir un dialogue. Ainsi se construit la nouvelle image que les journalistes vont avoir de l'association, celle d'une organisation très proche du PS et de François Mitterrand, sans base militante réelle et peu représentative, et que rejettent sur le terrain les jeunes « beurs » eux-mêmes, image que les associations strictement « beurs » , comme France Plus ou les JALB, rarement mieux implantées que SOS, vont contribuer à répandre.
      Le congrès de Longjumeau tente, du 28 au 30 avril, d'imposer une autre image de SOS-Racisme. Les responsables de l'association commencent par faire la critique de la politique suivie depuis 1988 par le gouvernement socialiste. Ils déclarent publiquement « avoir trop collé à Mitterrand »[105]  et au Parti socialiste, et invitent au congrès Antoine Waechter et des représentants des Verts pour manifester leur éloignement de leurs parrains politiques traditionnels. Un programme est adopté, le « manifeste pour l'intégration » , qui formalise les revendications de SOS au sujet de la situation dans les banlieues et des causes des tensions sociales et racistes. Le congrès de Longjumeau marque un « virage à gauche » de l'association ; moins dans les propositions du « manifeste pour l'intégration » , qui ne font que reprendre sous une forme plus détaillée la lettre aux candidats adoptée lors du précédent congrès en 1988 ou les thèmes qu'Harlem Désir avait développés à l'Heure de Vérité en 1987, mais plutôt en ce qui concerne l'attitude politique de SOS qui pour la première fois se déclare « plus à gauche » que le Parti socialiste. Jusqu'alors les responsables de l'association avaient toujours préféré adopter des positions consensuelles sur lesquelles le plus large public pouvait se retrouver. Ils prennent lors du congrès de Longjumeau des positions politiques plus radicales pour rompre avec leur image d'alliés du Parti socialiste et pour ne pas être décrédibilisés « sur le terrain » où, chaque fois qu'ils interviennent, on tend à les renvoyer à la politique de « leurs amis » du gouvernement socialiste. Ce nouveau discours politique comporte un risque : celui d'éloigner de SOS les jeunes qui l'avaient soutenu jusqu'alors sur des positions plus « morales » que « politiques » . C'est aussi en partie ce qui explique la présence d'Antoine Weachter et des Verts lors du congrès : elle permet de rompre avec le Parti socialiste en atténuant l'image « plus à gauche » et « plus politique » qui risque d'être associée à cette nouvelle attitude. Cependant, dans un premier temps, ce nouveau discours politique va permettre à l'association de consolider les contacts qu'elle a pu établir avec les autres associations antiracistes ou « de gauche »[106]  et de commencer à avoir des articles dans l'Humanité qui avait tendance à éviter de parler de l'association.
      En Juin 1990, le livre de Serge Malik, un ancien membre de SOS-Racisme vient renforcer la méfiance envers l'association. L'Histoire secrète de SOS-Racisme[107]  est un pamphlet contre Julien Dray et Harlem Désir qui raconte la fondation et les premières années de fonctionnement de l'association sur la tonalité du complot, de la manipulation et de la magouille. Les dirigeants de SOS préféreront ne pas porter plainte contre le livre « pour ne pas contribuer à son succès » et parce qu'il s'agissait moins d'une entreprise de diffamation que d'une interprétation systématiquement hostile de l'histoire de l'association à partir de faits déjà publiés dans la presse. Ce livre ainsi que celui de François de Closets, La Grande Manip[108] , publié en mai 1990, va être la manifestation et la justification de la désaffection de la presse pour SOS. Ils vont fournir aux journalistes et en particulier aux journalistes « de gauche » le support critique qui leur manquait pour qu'il leur soit possible d'attaquer l'association sans être accusés de faire le jeu des « racistes » , de « la droite » ou de « l'extrême droite » . En faisant le procès à la fois des pratiques, du discours et des positions politiques de SOS, Serge Malik et François de Closets vont permettre à certaines rédactions de remettre en cause une association antiraciste qu'elles avaient activement soutenue et dont les objectifs affichés étaient partagés par la plupart des journalistes. François de Closets en essayant de montrer que SOS, loin de servir la cause de l'antiracisme, aurait plutôt tendance à aggraver les tensions et à obscurcir les problèmes, donne aux adversaires déclarés de l'association un angle d'attaque et une caution[109]  et à ses anciens soutiens la possibilité de dépasser, au nom de l'antiracisme, leurs réticences à critiquer un mouvement qu'ils avaient largement contribué à faire connaître. S'installe donc dans la presse une « ambiance » systématiquement suspicieuse autour des activités de Julien Dray, de SOS ou des groupes qui leur sont proches. Ainsi certains journaux « de gauche » parlent de « filiales de SOS » pour désigner la FIDL, l'OBU ou « Maintenant la Paix » , ou placent systématiquement après le sigle de l'association, la désignation « proche du PS » , ce qu'ils n'avaient jamais fait entre 1985 et 1989, même après que les origines militantes des fondateurs de l'association aient été publiquement divulguées. Après 1989, les articles consacrés à l'association ne sont que rarement purement informatifs et tendent à introduire systématiquement un élément d'analyse et de critique envers l'action de l'association.
      Dans ce contexte peu favorable, SOS-Racisme va cependant continuer ses actions habituelles. Le concert, donné en 1990, à la fois à Vincennes et à Prague rassemble sous la pluie entre 150.000 personnes selon les organisateurs et quelques dizaines de milliers selon la presse. Celui de 1991, dont la vedette est Johnny Halliday, réunit, toujours à Vincennes et toujours sous la pluie, entre 150.000 et 200.000 personnes selon l'association et quelques dizaines de milliers pour les journalistes. Chaque année l'association participe à la semaine de l'éducation contre le racisme qui l'autorise à mener des initiatives dans le milieu scolaire où elle est généralement bien accueillie et qui lui permet d'obtenir des subventions spécifiques du Ministère de l'éducation nationale pour son organisation.
      Les campagnes d'opinion contre les crimes racistes, devenues moins centrales dans les activités de l'association depuis 1985 connaissent un regain en 1990. En mars, se produisent coup sur coup trois « crimes racistes » , le 6 à la Ciotat, le 9 à Roanne et le 10 à Saint Florentin[110] . SOS fait campagne contre ces meurtres en organisant des conférences de presse et des manifestations : le 10 mars à Saint-Florentin avec environ un millier de personnes, le 13 mars à la Ciotat et à Roanne dans le lycée de la victime, Majid Labdaoui, le 15 mars à Paris, Lyon, Roanne et La Ciotat pour des manifestations rassemblant au total environ 3000 personnes dont 1500 à Paris. Les actions de SOS sont assez comparables, voire plus importantes, que celles que l'association avait organisées en 1985 lors des meurtres de Menton et de Miramas, mais les échos qu'en donne la presse sont beaucoup plus faibles. Alors que les articles de la presse en mars 1985 étaient consacrés à SOS-Racisme se mobilisant contre des « crimes racistes » , les articles de mars 1990 parlent des affaires elles-mêmes et citent éventuellement en conclusion les réactions des hommes politiques et des associations antiracistes dont celles de SOS-Racisme, mise au même niveau d'importance et de signification que celle du MRAP ou de France Plus. Les manifestations organisées par l'association n'ont pas l'écho qui pouvait leur être donné il y a quelques années alors même que les capacités de mobilisation de SOS sont bien supérieures en 1990. Quelques jours plus tard, lors de « l'affaire de Carpentras » qui commence à partir du 10 mai, SOS ne sera pas, comme dans tous les mouvements de réaction aux actions antisémites, au premier rang de la mobilisation.
      SOS poursuit son effort sur les problèmes de la ville en réunissant les 1 et 2 décembre 1990 des « états généraux de la ville » qui doivent rassembler et faire dialoguer tous les acteurs concernés par la banlieue : policiers, responsables d'associations, d'offices HLM, éducateurs, « jeunes des quartiers » , élus locaux, et le ministre de la Ville, Michel Delebarre. L'initiative doit permettre de montrer que SOS est une association qui a une réflexion globale sur les « facteurs sociaux » qui induisent le racisme et qu'elle est soucieuse d'efficacité et d'actions concrètes. SOS se donne aussi un nouveau rôle : celui de permettre la jonction entre les responsables politiques et administratifs qui ont un pouvoir de décision et les associations « de terrain » qui connaissent les préoccupations des usagers ou des citoyens. Les deux jours de débats sont divisés en séances plénières et réunions de commissions spécialisées (police, éducation, logement) pour que tous les problèmes soient abordés. L'initiative se heurte au manque de publicité et à la faible capacité de mobilisation de l'association : si le plateau est bien fourni et les thèmes abordés proches de l'actualité du [111] , la salle n'est pas aussi remplie que l'espéraient les organisateurs et les « interlocuteurs » que SOS met en face des responsables locaux ou administratifs ne sont ni très nombreux ni très « représentatifs » .
      Les responsables de SOS-Racisme déclarent avoir le sentiment de ne pas être écoutés lorsqu'ils préconisent une politique active d'intégration dans les banlieues pour éviter la « formation de ghettos » et la « marginalisation sociale » de certaines populations. La presse semble considérer que leur discours sur la nécessité de diminuer les causes sociales et économiques des tensions racistes en banlieues est plus un moyen de critiquer le gouvernement Rocard « sur sa gauche » que la proposition d'une politique réaliste. Pour Julien Dray, le dialogue avec le gouvernement passe donc aussi par l'établissement de « rapports de forces » dans lesquels l'association s'appuiera sur des mouvements sociaux qu'elle organisera ou soutiendra pour mettre en évidence la nécessité d'une prise en compte des problèmes sociaux de la banlieue.
      Le mouvement des lycéens en octobre 1990 va constituer un moyen d'établir un tel « rapport de force » . Comme pour le mouvement des infirmières en 1988, les militants de SOS-Racisme prennent le mouvement en marche. Parti de quelques lycées de la banlieue parisienne qui s'étaient mis en grève pour demander « plus de sécurité » après le viol, le 3 octobre, d'une élève dans l'enceinte du lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen, le mouvement est « redressé » par les militants de la FIDL et des Jeunesses Communistes qui tendent à remplacer les revendications « sécuritaires » dont ils n'ont pas l'habitude par des revendications plus « politiques » et pédagogiques sur le manque de crédits et de personnel et sur la dégradation des locaux. Si les Jeunesses communistes sont mieux implantées que SOS-Racisme dans les lycées de la banlieue parisienne, notamment grâce aux réseaux des mairies communistes, la FIDL dispose en Nasser Ramdane, du « leader médiatique » du mouvement[112] , invité par tous les médias à exprimer les revendications et à donner le sens du mouvement lycéen. Après les manifestations du 22 et du 24 octobre qui réunissent 4000 puis 7000 lycéens, Lionel Jospin reçoit une délégation de lycéens. Cela n'arrête pas le mouvement qui organise une autre manifestation le 26 octobre, avant l'interruption des vacances de la Toussaint. Une délégation est reçue par Michel Rocard qui promet 1000 postes de personnel non enseignant. La lutte qui opposait depuis plusieurs jours les Jeunesses Communistes et la FIDL pour le contrôle du mouvement éclate lors des réunions de la coordination du 24 et du 26 octobre[113] . Cette lutte pour la représentation du mouvement lycéen s'intensifiera encore en novembre avec l'apparition d'une troisième puis d'une quatrième coordination qui marqueront la fin du mouvement[114} . Le mouvement s'interrompt pendant les vacances puis reprend dès la rentrée, le lundi 5 novembre, par une manifestation rassemblant environ 35.000 personnes. Les violences de fin de cortège qui avaient commencé à se développer lors des précédentes manifestations et qui n'avaient d'ailleurs pas été réprimées deviennent plus importantes à partir de la manifestation du lundi. Le mouvement culmine lors de la manifestation du 12 novembre, rassemblant environ 100.000 personnes selon les organisateurs et la presse. La manifestation est marquée par des incidents lors de son passage devant le magasin « C & A » , avenue du Maine, dont les vitrines sont pillées par ceux que la presse et le gouvernement appelleront les « casseurs » , et près du pont de l'Alma où les gardes mobiles sont assaillis de projectiles. Une délégation de lycéens est reçue par François Mitterrand[115] . Sur le perron de l'Elysée, Nasser Ramdane déclarera aux journalistes que le président avait compris les préoccupations des lycéens et que le gouvernement devait prendre ses responsabilités. Michel Rocard annoncera que 4,5 milliards de francs supplémentaires seront alloués au budget de l'éducation pour satisfaire les revendications des lycéens.

Tout cela créait une certaine tension entre la Nouvelle Ecole Socialiste et SOS-Racisme d'une part et le gouvernement socialiste de Michel Rocard de l'autre, qui voyait d'un mauvais œil une opposition de gauche à l'intérieur du Parti socialiste s'appuyer sur des mouvements sociaux pour affaiblir le gouvernement. Le Congrès de Rennes, en avril 1990, avait précisé les positions à l'intérieur du Parti socialiste. Julien Dray, Jean-Luc Mélenchon et la Nouvelle Ecole socialiste n'avaient obtenu qu'environ 1 % des mandats mais avaient choisi de rejoindre la motion de Laurent Fabius qui leur avait accordé, sur le contingent de sa motion, des places dans la nouvelle direction du parti. Michel Rocard qui envisage alors de prendre la direction du parti grâce à son alliance avec Lionel Jospin ne pouvait éprouver beaucoup de sympathie envers ceux qu'il percevait comme des adversaires politiques à l'intérieur du Parti socialiste et comme des « agitateurs » mitterrandistes cherchant à déstabiliser son gouvernement[116] .
      La fin de la période est marquée par la crise de la Guerre du Golfe qui conduit une nouvelle fois SOS-Racisme à prendre position, comme dans l'affaire des foulards, en opposition à la majorité de l'opinion et de la presse. Les militants de l'association étaient plutôt contre la guerre comme une grande partie de la population « beur » que SOS-Racisme est censé « représenter » . Il était donc difficile pour l'association de se prononcer en faveur de la participation de la France à la Coalition des Nations Unies sans risquer de perdre des militants et surtout d'être complètement déconsidérée auprès des « jeunes immigrés de la seconde génération » . Mais une simple prise de position discrète contre la guerre ou un refus de prendre position sur le slogan « on ne règle pas les problèmes du Koweït sur les rives de la Loire » aurait pu suffire à ne pas attirer l'attention médiatique sur la position de SOS qui, après tout, était sans grande influence sur les événements. Cependant, SOS-Racisme n'a pas recherché à adopter une attitude floue ou ambiguë et, à partir de janvier, l'association a activement participé à la campagne contre la guerre. Cette participation, après l'affaire des foulards et la prise de distance envers le gouvernement et le Parti socialiste au congrès de Longjumeau, manifeste publiquement la prise d'indépendance de l'association vis-à-vis du gouvernement et du Parti socialiste mais aussi envers le chef de l'Etat et contribue à transformer l'image publique de l'association.
      Après quelques jours de campagne contre la guerre[117] , Eric Ghébali, qui est en désaccord avec la position officielle de SOS, parvient, après un débat mouvementé au Conseil National extraordinaire réuni le 27 janvier, à obliger la direction à revenir sur son opposition à la guerre. SOS accorde alors à ses membres un « droit de militance » : chacun peut prendre la position qu'il désire sans engager l'association tout entière. SOS ne peut plus avoir de position officielle sur le conflit du Golfe et ses militants ne peuvent plus engager le sigle de l'association dans la campagne pacifiste. En réalité, le sigle et l'image de l'association ont été largement associés à la mobilisation contre la guerre entre le 15 et le 27 janvier. D'autre part, la plupart des permanents, c'est-à-dire la majorité de l'appareil de SOS va participer à la création de La Paix Maintenant qui deviendra Maintenant La Paix[118]  et qui, en collaboration avec les Verts et d'autres associations, va constituer un des pôles non communistes de mobilisation contre l'engagement de la France dans le conflit. La Guerre du Golfe marque une rupture dans l'histoire de SOS-Racisme, puisque sa prise de position contre la guerre va améliorer son image dans les banlieues mais va éloigner beaucoup de ses anciens soutiens dont un des plus importants, Pierre Bergé, qui contribuait en partie au fonctionnement quotidien de l'association. Le départ spectaculaire de Guy Konopniki, Bernard-Henri Lévy et Marek Halter a donné l'impression que beaucoup de membres de la communauté juive quittaient l'association. En réalité, il s'agissait plus de compagnons de route et d'anciens soutiens que de militants véritables et l'association enregistrera assez peu de départs dus aux prises de positions « pacifistes » des permanents du Bureau National. Même le président François Mitterrand ne manifestera pas vraiment son mécontentement envers Julien Dray et Harlem Désir puisqu'il sera présent au dîner des parrains quelques mois après la guerre, tandis que Marek Halter et Pierre Bergé reprendront progressivement leur collaboration avec l'association. Celle-ci réussissait d'ailleurs à rassembler l'année suivante autour d'elle la plupart des partis et des associations « de gauche » pour la manifestation du 25 janvier 1992. On pourrait donc croire que SOS-Racisme n'a que peu souffert de sa prise de position « pacifiste » . En réalité, la Guerre du Golfe, ajoutée à l'affaire des foulards et au développement de la Nouvelle Ecole Socialiste marque une rupture dans le ton des articles de presse consacrés à SOS-Racisme. Puisque seule la gauche du Parti socialiste a critiqué la participation à la guerre, les prises de position de SOS, jointes à la tonalité très « à gauche » des interventions de Harlem Désir au sujet de la politique du gouvernement Rocard dans les banlieues et l'attitude de la Nouvelle Ecole Socialiste au sein du Parti socialiste, contribuent à donner une image « gauchiste » de l'association, en rupture complète avec celle qui était la sienne en 1985.
      La transformation de SOS-Racisme d'un mouvement consensuel en une organisation plus radicale et plus critique correspondait aux nécessités du maintien d'une implantation de SOS « sur le terrain » mais rendait plus difficiles ses relations avec les médias. La campagne de l'association contre la guerre, alors que la plupart des rédactions prenaient position, de façon plus ou moins ouverte, en faveur de la participation de la France aux opérations militaires[119] , ne pouvait pas favoriser l'image de SOS dans la presse, surtout après « l'affaire du foulard » . De plus, les menaces que Sadam Hussein voulait faire peser sur Israël favorisaient les réactions émotionnelles de certains journalistes qui, de par leur trajectoire personnelle, étaient particulièrement sensibles à la « sécurité d'Israël » et qui, pour des raisons semblables avaient soutenu SOS en 1985 pour lutter contre la « montée de Le Pen » qu'ils ressentaient comme une désagréable réminiscence. La position anti-guerre de SOS avait donc tendance à éloigner de l'association précisément ceux qui avaient été ses meilleurs soutiens. D'autre part « l'affaire du foulard » , la guerre du Golfe et les critiques de l'association contre la politique du gouvernement Rocard contribuaient à fabriquer des adversaires « de gauche » dont l'hostilité était d'autant plus dangereuse pour l'association qu'ils avaient plus de chances d'être crédibles auprès de ceux qui constituaient le public de SOS. Alors qu'avant la Guerre, comme avant « l'affaire des foulards » , certains journalistes de la presse de gauche, que l'association pouvait irriter, avaient des scrupules à critiquer un mouvement qui leur semblait œuvrer dans le bon sens, on voit, après le conflit, se multiplier les allusions critiques contre une organisation qui ne fait d'ailleurs plus les gros titres depuis plusieurs années.
      Mais cette hostilité nouvelle envers l'association ne touche pas que des hommes politiques ou des journalistes ; Pierre-André Taguieff qui avait longtemps été un soutien de SOS-Racisme[120] , prend ses distances après la guerre et, lors de la publication de son livre « Face au racisme » en avril 1991[121] , attaque « l'antiracisme différencialiste » qui ferait le jeu de l'extrême droite. La thèse de l'auteur est que le « droit à la différence » favorise la constitution d'une situation communautaire comme aux Etats-Unis et tend à contribuer à la montée du racisme et de l'extrême droite[122] . De nombreux articles sont consacrés pendant quelques mois au livre de Pierre-André Taguieff et les journalistes semblent beaucoup s'intéresser à l'antidifférentialisme et à la critique de SOS-Racisme. « Face au racisme » permet aux journalistes de donner un fondement rationnel et argumenté à la critique d'une association antiraciste dont les objectifs semblaient jusque là inattaquables. En ce sens Pierre-André Taguieff permet de faire tomber les dernières réticences qui pouvaient encore empêcher les journalistes « de gauche » de critiquer SOS-Racisme.

De l'après-Guerre du Golfe jusqu'aux élections législatives.
De mars 1991 à mars 93.

SOS-Racisme connaît donc une accumulation de conditions contraires. La presse « de gauche » lui est devenue défavorable et hésite entre le silence et la critique ; la présence d'un gouvernement de gauche hostile ne lui permet ni de disposer des moyens nécessaires à la relance de ses activités[123] , ni de pouvoir mobiliser en situation d'opposition à la politique d'un gouvernement « de droite » . L'impopularité croissante de François Mitterrand et du Parti socialiste va conduire l'association à se placer en position d'opposant « de gauche » au gouvernement soutenu par le Parti socialiste. Mais cette politique, qui n'est pas pour déplaire aux militants et aux permanents, a pour conséquence d'isoler SOS-Racisme en lui donnant une image radicalisée. La presse et une majorité des responsables socialistes perçoivent l'association comme un groupe « gauchiste » et maximaliste, un « syndicat de défense des immigrés » , devenu embarrassant pour la politique plus répressive envers les « immigrés » que le gouvernement s'efforce de mener.
      L'état du débat sur l'immigration affaiblit également l'association. Alors qu'en 1985, elle avait réussi le coup de force de faire du débat sur les immigrés une mobilisation de protestation contre le racisme, la focalisation des médias sur « la situation dans les banlieues » et les progrès du Front national rendent beaucoup plus difficile une protestation purement morale contre « le racisme » . Face aux critiques de l'opposition sur leur « laxisme » envers les immigrés clandestins ou délinquants, les gouvernements socialistes qui se succèdent jusqu'en 1993 sont contraints de durcir leur position sur le « problème de l'immigration » , changement d'attitude résumé par la phrase de Michel Rocard, « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et par la « politique des charters » d'Edith Cresson[124] . SOS-Racisme, qui est tenu de s'opposer à toute loi discriminatoire envers la « deuxième génération immigrée » ou à toute mesure ne respectant pas les « droits des personnes » des étrangers, apparaît encore comme une gêne pour le gouvernement, comme sa « mauvaise conscience » . De leur côté, si les responsables de l'association ne peuvent pas accepter que le gouvernement socialiste fasse ce qu'ils jugent être la « politique de Pasqua » [125] , ils ne peuvent refuser complètement certaines mesures sans paraître favoriser une immigration sans limites et sans passer pour irresponsables. Le discours de l'association perd alors de sa netteté et de sa force de conviction pour devenir, sur bien des points, confus et embarrassé.
      Pourtant, en janvier 1992, SOS-Racisme prend l'initiative d'une grande manifestation pour « l'égalité des droits » c'est-à-dire contre la politique sociale du gouvernement. Il parvient à rassembler un large collectif unitaire comprenant l'ensemble des associations du secteur de l'immigration (à l'exception de France Plus), les syndicats, les groupes d'extrême gauche et le PCF. Un tel collectif aurait été difficile à réunir lorsque l'association avait la réputation d'être un simple satellite du Parti socialiste sponsorisé par « les amis du président » . « L'affaire des foulards » et sa campagne contre la Guerre du Golfe ont donné à SOS une crédibilité et une capacité de rassemblement « à gauche » dont il ne disposait plus depuis 1985. Au dernier moment, le Parti socialiste, alors dirigé par Laurent Fabius, qui avait tout d'abord trouvé le texte de l'appel trop radical et trop critique envers la politique du gouvernement, appelle à la manifestation pour « lutter contre le Front National et l'extrême droite » . Le collectif organisateur est très réservé sur ce soutien tardif qui tend à transformer les objectifs qu'ils avaient voulu donner à la manifestation. Le journée du 25 janvier qui aura rassemblé de 50.000 à 100.000 personnes selon les estimations sera considérée comme un succès de SOS et prouvera ainsi sa capacité de mobilisation. Mais cette mobilisation se fait sur un discours radicalisé et très offensif vis-à-vis du gouvernement et du Parti socialiste dont les représentants se feront conspuer et bombarder de projectiles variés avant d'être empêchés dedéfiler[126] . SOS est ainsi obligé, pour ne pas perdre sa crédibilité vis-à-vis de ses militants, des populations qu'il assure représenter et des mouvements avec qui il travaille, d'adopter une position de plus en plus « à gauche » , de prendre ses distances vis-à-vis de ses soutiens habituels, politiques ou journalistiques. Si la manifestation du 25 janvier lui permet d'améliorer son image auprès des autres militants associatifs, elle tend à l'isoler davantage de la scène politique principale.
      Après le résultat décevant d'une seconde manifestation unitaire de SOS-Racisme le 6 février 1993 (environ 15.000 personnes), l'horizon politique et militant est entièrement occupé par la perspective des élections législatives de 1993 et de la défaite annoncée du Parti socialiste. L'association attend de se retrouver dans l'opposition pour voir augmenter ses possibilités d'action et de mobilisation. Mobiliser « à gauche » contre un gouvernement socialiste s'est révélé être une opération délicate : l'association s'est fait beaucoup d'ennemis pour un résultat limité par les fidélités et le sentiment que ceux qui remplaceraient les ministres socialistes pourraient être plus désagréables. Faute de moyens l'association tend à réduire ses initiatives : le concert de 1992 que SOS présente sur la place de la République sera le dernier que l'association parviendra à produire. L'impact du concert s'est affaibli et les sponsors sont moins intéressés : l'association ne parvient plus à réunir les quatre millions de francs nécessaires à l'organisation du concert. À partir de 1993, SOS n'a donc plus les moyens financiers d'attirer l'attention des médias sur des initiatives originales et rien ne le distingue plus des autres associations antiracistes.

Harlem Désir qui voulait quitter l'association qu'il représentait depuis sept ans, part fonder le Mouvement Action-Egalité après l'université d'été de Cergy en septembre 1992. Le nouveau parti déclare vouloir présenter une centaine de candidats lors des législatives de 1993. Le Mouvement est formé par des militants de SOS-Racisme et des militants de la LCR autour de David Assouline, ancien leader du mouvement étudiant de 1986. Harlem Désir espérait que son image et son réseau de contacts dans la presse permettraient au nouveau parti d'avoir suffisamment de publicité pour décoller avant les législatives. Le « créneau politique » choisi est le même que celui de la manifestation du 25 janvier : rassembler les déçus du Parti socialiste et proposer un vote antigouvernemental de gauche concurremment au Parti Communiste et aux écologistes. En fait, le Mouvement, sans moyens, sans couverture de presse et sans militants sera dans l'incapacité de présenter des candidats et de faire campagne. Harlem Désir va le quitter pour rejoindre Génération Ecologie qui passe pour devoir faire un bon score conjointement aux Verts lors des élections législatives. Après un score décevant des écologistes en général et de Harlem Désir en particulier (Moins de 10 % au premier tour), celui-ci se verra marginalisé par Brice Lalonde qui le trouve trop « gauchiste » pour la ligne politique qu'il veut imprimer à son mouvement. Harlem Désir finira par rejoindre le Parti socialiste et la Gauche Socialiste.
      Fodé Sylla, le successeur de Harlem Désir au poste de président et de porte-parole de SOS-Racisme, hérite d'un mouvement perçu par beaucoup comme sur le déclin. Le nombre de ses adhérents et de ses militants est en baisse, les ressources financières sont d'autant plus réduites que s'annonce une deuxième cohabitation au cours de laquelle les subventions gouvernementales seront probablement encore diminuées. L'image et la popularité de l'association apparaissent largement entamées. De plus, le changement des responsables, oblige à reconstituer l'ensemble des contacts personnels qu'Harlem Désir avait noués avec les journalistes et les hommes politiques depuis 1985. Cependant, Fodé Sylla bénéficie d'une image plus « authentique » , plus « proche du terrain » que celle d'Harlem Désir au moment de son départ. Enfin l'arrivée d'un gouvernement RPR-UDF permettra à SOS-Racisme de retrouver, comme entre 1986 et 1988, un potentiel de mobilisation.